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dissertations sur la littérature antique, qui témoignent combien cette littérature était alors familière aux esprits cultivés ; Bonamy, Fréret, de La Bletterie, Le Beau, y ont consigné également des études ingénieuses et savantes, qui sont comme le point de départ des recherches critiques des érudits et des philologues modernes, et dans lesquelles on retrouve le germe de bien des théories qui se sont fait accepter comme des découvertes. Malheureusement c’est là la destinée de l’érudition. Les œuvres littéraires gardent à travers les âges leur fraîcheur et leur jeunesse ; les autres au contraire vieillissent à chaque nouveau progrès de la science. Quand une vérité historique ou philologique est une fois établie, elle passe, comme une monnaie courante, dans la circulation ; personne ne songe à ceux qui ont extrait l’or de la mine, et l’indifférence est d’autant plus grande pour les initiateurs que ceux qui profitent de leurs travaux s’appliquent presque toujours à les faire oublier, ou n’en parlent que pour en médire.

La révolution porta un coup terrible aux études classiques. Jamais cependant à aucune autre époque de notre histoire Rome ne fut plus à la mode ; c’était faire acte de patriotisme que de se draper à la romaine. Le citoyen Brutus et le citoyen Scévola péroraient dans tous les clubs ; mais Brutus et Scévola ne savaient point le latin, et en proscrivant, par civisme, les membres les plus distingués du corps enseignant, parce qu’ils appartenaient au clergé et aux ordres religieux, on établit dans la philologie antique un long interrègne. La connaissance des langues mortes devint le privilège exclusif de quelques rares savans et des hommes dont les études dataient de l’ancienne monarchie. De 1792 à 1808, il y eut comme un temps d’arrêt dans l’instruction publique ; des professeurs improvisés enseignaient ce qu’ils ne savaient point eux-mêmes. Fort heureusement Napoléon fit cesser cette anarchie : le décret du 17 mars 1808, en reconstituant l’Université, imposa aux professeurs l’obligation de s’instruire avant d’instruire les autres ; un excellent programme d’études classiques fut dressé pour les maîtres et pour les élèves. Seulement, comme la guerre enlevait aux classes les jeunes générations, le progrès ne répondit point immédiatement à ce qu’on pouvait attendre de la forte organisation de l’Université ; les jeunes gens formés pour le professorat sous l’empire ne devinrent que sous la restauration d’excellens maîtres. Leur influence fut considérable alors, et vers 1818 on put se croire un instant reporté à ces jours déjà si loin de nous où, pour faire l’éloge d’un homme à l’esprit cultivé, aimable et sérieux, on disait de lui : c’est un bon humaniste. Il y eut à cette époque une véritable croisade on faveur des lettres romaines. On vit paraître un journal latin, l’Hermes Romanus, qui trouva pendant quelques années des abonnés nombreux et des collaborateurs empressés. Un directeur de l’enregistrement et des domaines, M. de Belloc, publia un manifeste pour démontrer qu’il était urgent de décorer d’inscriptions latines les monumens publics, compromis par l’usage de la langue nationale appliquée au stylo lapidaire. On alla même jusqu’à proposer l’établissement d’une ville néo-romaine, qui aurait servi tout à la fois de colonie modèle et de collège[1]. Vers le même temps, M. l’abbé Mangin, attendri

  1. Olmo. De lingua latina colenda à civitate latina fundanda, liber singularis. 1 vol. in-12.