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révélation, appuyée sur des institutions d’une aptitude et d’une prévoyance merveilleuses, a résisté au poids des siècles, soutenu vaillamment le choc des révolutions et des conquêtes, repoussé constamment la flétrissure des croyances ou des pratiques étrangères. Les autres peuples sont venus puiser aux sources divines de sa poésie et de sa science philosophique ; elle ne leur a rien demandé. Chargée de maintenir la pratique invariable des règles qui gouvernent, depuis les temps anté-historiques, la vie privée et les habitudes religieuses de ses enfans, elle a suffi à sa tâche. Elle est restée forte contre les persécutions, tolérante malgré les exemples de fanatisme, calme dans la bonne fortune, résignée dans le malheur, debout enfin sur les ruines des autres civilisations, et le regard tourné sans cesse vers l’avenir que sa foi lui promet. Voilà ce qui nous a semblé résulter invinciblement de l’ensemble des témoignages historiques et de la discussion impartiale des faits.

Il fallait cependant, tout en reconnaissant la grandeur du rôle que la société hindoue a joué de tout temps et joue encore dans l’extrême Orient, ne pas négliger l’étude des autres élémens sociaux introduits dans l’Hindoustan par l’immigration ou la conquête, et en particulier de l’élément mahométan, le plus important de tous. C’est à quoi nous nous sommes attaché. Nous avons été ainsi conduit à examiner quel usage la domination musulmane avait fait du pouvoir que les événemens avaient placé entre ses mains, et nous sommes arrivé à cette conclusion, qu’un seul parmi les souverains musulmans de l’Inde gangétique, Akbăr, avait compris pleinement sa mission et consacré toute sa volonté, toutes les ressources de sa puissante intelligence, à l’œuvre si glorieuse de la fusion politique des deux grandes races qui se partageaient les forces vives de son empire. Les historiens musulmans ont bien plutôt raconté d’un point de vue exclusif les événemens qui ont signalé le règne de ce prince et ceux de ses successeurs, qu’ils n’ont songé à peindre une époque. Le ministre favori et le panégyriste d’Akbăr, bien que doué du coup d’œil du philosophe et de celui de l’homme d’état, a lui-même cédé (et nous l’avons déjà reconnu) à l’admiration excessive que lui inspirait son héros, et ses récits sont entachés d’exagération ou n’embrassent qu’un certain ordre de faits souvent incomplètement rapportés. Tous manquent de cette première qualité de l’historien, l’indépendance. Les historiens anglais, un seul excepté (l’illustre Elphinstone), ont étudié dans Akbăr le conquérant, le monarque absolu, plutôt que l’homme religieux, le législateur prévoyant et humain par caractère et par principes, le pasteur des peuples éminemment doué du sentiment des choses grandes et durablement utiles. Elphinstone lui-même nous semble n’avoir pas suffisamment apprécié ce qu’il y a eu de