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de la langue anglaise et de l’écriture européenne, à lui qui n’a ni ambition ni espoir d’améliorer notablement sa condition actuelle ou celle de ses enfans ? Il lui fallait l’aiguillon d’un intérêt immédiat ou au moins prochain, la perspective d’indépendance, d’affranchissement du servage, qui précisément lui manquent.

Il n’en a pas été de même dans les provinces du nord-ouest, où le gouvernement, ne s’étant pas lié les mains d’avance et profitant de l’expérience acquise dans l’application de diverses théories sur l’assiette de l’impôt territorial, a garanti par de sages mesures les droits du cultivateur, et l’a encouragé à augmenter, dans son propre intérêt, la valeur du sol. Les opérations du cadastre, dirigées vers ce double but, ont été enregistrées et les registres ouverts au public ; mais ceux-là seulement qui peuvent lire, écrire, calculer et se rendre compte de la mesure exacte des terres, se voient admis à profiter des importantes données qui sont offertes aux espérances de leur légitime ambition. Ce motif a suffi pour déterminer les indigènes à acquérir les notions fondamentales d’une éducation européenne. Des écoles ont été ouvertes par le gouvernement ou ont surgi de toutes parts ; de bons livres élémentaires ont été imprimés et recherchés ; l’impulsion donnée se suit avec ardeur, et la condition intellectuelle et matérielle des populations s’améliore à vue d’œil[1]. Un système analogue, adapté aux circonstances locales, se développe dès à présent dans les présidences de Madras[2] et de Bombay.

  1. On peut juger de l’importance de ces résultats par le chiffre de la population des provinces nord-ouest, qui s’élevait en 1852 à 23,199,688 habitans (répartis sur une surface de 46,070,658 acres ou 18 millions et demi d’hectares environ). Sur ces 23 millions, on compte 15 millions d’agriculteurs. La proportion des Hindous aux musulmans dans ces provinces est à peu près celle de 19 : 4. Le gouvernement de Madras comptait à peu près 13 millions d’habitans en 1850-51. Le gouvernement de Bombay est peuplé d’environ 10 millions. Voilà donc un total de 56 millions d’hommes dont la condition sociale est en pleine voie d’amélioration.
  2. Au point de vue de la prospérité agricole, la présidence de Madras paraît être la plus arriérée. Une discussion du plus vif intérêt s’est élevée à ce sujet, dans la chambre des communes, le 11 du mois de juillet 1854, sur la motion de M. Blackett, tendant à l’envoi d’une commission spéciale qui instituerait dans cette présidence une enquête sur l’assiette et la perception de l’impôt territorial. Des 123 membres présens, 59 ont voté pour la proposition, 64 contre. La motion n’a donc été rejetée qu’à la majorité de 5 voix. La discussion avait mis en évidence ce fait déplorable, savoir : que la perception de la redevance territoriale avait, dans l’état actuel des choses, le caractère d’une véritable exactions, ruineuse pour l’agriculture et fatale au développement de l’agriculture dans la présidence de Madras. Le président du bureau de l’Inde a reconnu la nécessité de remédier promptement au mal et solennellement promis d’adopter les mesures nécessaires dans le plus bref délai possible.