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compagnie de s’en rapprocher autant que possible dans les principes et la pratique de leur gouvernement. Dans la lettre que le conseil suprême écrivit à la demande d’Hastings afin d’obtenir que la cour des directeurs souscrivît pour 150 exemplaires de la traduction de Gladwin, l’Ayîn Akbary est désigné comme « un ouvrage qui peut être de la plus grande utilité pour la compagnie, attendu qu’il contient les instituts généraux du sultan Akbăr, le fondateur de l’empire moghol. » Voilà ce que pensaient et ce qu’écrivaient en 1783 le gouverneur général et les membres du conseil suprême des Indes.

Quel changement merveilleux s’était opéré dès cette époque dans l’opinion des Européens sur la valeur morale des peuples de l’Hindoustan et sur le but auquel le gouvernement issu de la conquête devait tendre désormais ! C’est en effet une étude pleine d’enseignemens que celle des modifications qu’ont dû fatalement subir les relations des Anglais avec les Hindoustanys, modifications comparativement rapides, puisque la domination anglaise dans l’Inde ne date pas, à proprement parler, de plus d’un siècle. Ce n’est d’ailleurs que tout récemment que l’élément moral s’est introduit de fait dans cette domination, et les plus chauds partisans du gouvernement de la compagnie ont été forcés de reconnaître que les Anglais employés par elle ne s’étaient accoutumés que par degrés à regarder les Hindoustanys comme des hommes. L’auteur de travaux intéressans sur l’Inde anglaise, M. Kaye, a résumé avec une entière bonne foi les témoignages les plus décisifs à cet égard.

Que résulte-t-il pour tout observateur impartial de l’ensemble des faits ? Nous répondrons avec M. Kaye que les Anglais n’ont regardé les Indiens, pendant de longues années, que comme un peuple de noirs (sinon de nègres) avec lequel il était avantageux de trafiquer ; puis ils en sont venus à penser que ce peuple devait être subjugué ; puis, après avoir subjugué les Hindoustanys, ils les ont traités avant tout comme contribuables. Après un autre laps de temps, on est arrivé à les envisager comme un peuple qu’il fallait gouverner, et on a créé pour eux, ou, pour parler plus exactement, contre eux, tout un arsenal de lois ; mais, chose étrange, ce n’est qu’après avoir élaboré ce gouvernement, ces lois, ces règlemens destinés à assurer l’avenir de la domination anglaise, qu’on a jugé utile d’étudier les hommes que ces institutions nouvelles devaient régir.

Ce n’est pas ainsi qu’avait procédé Akbăr. Sous son gouvernement » l’étude des livres de l’Inde n’avait pas devancé, comme elle l’a fait sous le gouvernement anglais, celle des hommes. Ces deux études avaient marché de front pour ainsi dire, et les actes les plus importans de son règne témoignent de sa haute appréciation des uns et des autres. Enfin l’héritière de l’empire d’Akbăr, la reine