En constatant la domination que le christianisme exerce et qu’il est appelé à étendre dans l’Inde, il ne faut pas donner aujourd’hui à ce terme une signification pratique qu’il ne saurait avoir en des contrées où l’immense majorité des consciences est et sera longtemps encore sous le charme des superstitions brahmaniques et mahométanes, des légendes poétiques de l’islamisme et des Pouranâs. Le christianisme n’a apporté de fait dans l’Inde, au moins jusqu’à présent, que l’influence de la civilisation qu’il avait fondée en Europe et la science administrative des états occidentaux, dont la force des choses l’a rendu le principal propagateur. La supériorité morale du christianisme sur les religions de l’Orient ne s’est révélée qu’à quelques intelligences d’élite parmi ces peuples qui se laissent encore entraîner par une imagination rêveuse plutôt que guider par la raison. Ils ne reconnaissent, pour la plupart, aux chrétiens qu’une aptitude redoutable à la domination et des facultés puissantes dont ils ont souvent abusé depuis que la Providence a permis qu’ils prissent une part quelconque au gouvernement de l’Hindoustan. Les chrétiens sont pour eux des maîtres, mais non des frères au point de vue religieux, et les analogies qui rapprochent, à de certains égards, nos croyances des leurs ont à leurs yeux le caractère d’un emprunt, en sorte qu’ils ne peuvent y reconnaître un nouveau point de départ des destinées morales de l’humanité. Cela posé, il ne s’agit pour l’historien politique que de comparer les grands principes de l’administration hindoue-musulmane, tels qu’ils ont été proclamés et mis en pratique par Akbăr, avec l’ancien et nouveau système d’administration appliqué au vaste empire indien par l’un des premiers peuples de la chrétienté[1].
- ↑ Parmi les successeurs d’Akbăr, le seul qui ait marché franchement dans sa voie est Shâh-Djăhân, son petit-fils. — Khafi-Khan va même jusqu’à mettre Shâh-Djăhân au-dessus d’Akbăr et de tous les souverains moghols comme administrateur ; il place Akbăr au-dessus de tous comme conquérant et comme législateur. Ce fut sous Shâh-Djăhân que l’empire moghol atteignit son plus haut degré de prospérité. Secondé par un ministre dévoué, Saad-Oullah-Khân, administrateur du premier ordre, Shâh-Djăhân améliora la condition des classes agricoles et industrielles. Les travaux d’utilité publique reçurent de son gouvernement un développement des plus remarquables, attesté par d’innombrables monumens. Le Tadj, cette merveille de l’architecture mahométane, ce tombeau, unique dans le monde, où Shâh-Djăhân repose auprès de sa sultane favorite, a été également construit sous son règne. La magnificence de la cour moghole devint proverbiale à dater surtout de cette époque, et l’idée qu’on se faisait en Europe, au XVIIe siècle, du grand-moghol (comme on désignait alors le souverain de l’Hindoustan) ne dut pas paraître exagérée jusqu’au commencement du XIXe. Un seul parmi les gouverneurs généraux anglais, lord Wellesley, que sir John Mackintosh appelait « a sultanised governer general » (un gouverneur général sultanisé), essaya de maintenir sa maison dans des conditions de représentation et de splendeur qui offrissent quelque analogie avec les pompes impériales ; mais lord Wellesley lui-même ne devait paraître après tout, aux yeux des Hindoustanys, qu’un bien petit grand-moghol !