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suivant, ma tante entra chez moi ; un de mes petits cousins était là, elle lui fit signe de sortir. Je ne savais ce qu’elle pouvait avoir à me dire. — Écoute, Jean-Denis, fit-elle une fois seule ; Mme Roset attend de toi un service, veux-tu le lui rendre ? — Parlez, parlez, ma tante, c’est la mère de Mlle Élisa, je n’ai rien à lui refuser. — Eh bien ! reprit-elle, tu n’ignores plus que Mlle Élisa t’aime ; ce que tu ne sais pas encore, c’est qu’elle a parlé plusieurs fois de toi. Ne va pas t’en avantager, elle est dans la fièvre. Mme Roset désire que tu la voies, elle croit que cela lui fera du bien. Moi, je ne pense pas ; mais cette pauvre dame y tient, et le médecin a dit que, pourvu que la chose se fasse avec prudence, il ne s’y opposait pas. Ainsi point d’éclat, reste maître de toi, songe qu’il y va de la vie de cette pauvre demoiselle. Tu me promets d’être calme, c’est bien ; maintenant passe ta veste, nous allons descendre. Nanette est sortie ; crainte d’une nouvelle esclandre, on l’a envoyée faire une commission.

Ma tante me prêta son bras, et je descendis. Mlle Élisa paraissait dormir. La fièvre colorait sa figure si douce. Point de fatigue, point de traits tirés. Jamais je ne l’avais vue aussi belle. J’approchai doucement du lit. Elle murmurait quelque chose ; je n’osai d’abord pas lui parler. — Du bois-gentil ! disait-elle en agitant les mains comme si elle tenait des fleurs. Chut ! n’allez pas lui dire que je l’aime ! — — Elle riait en disant cela ; c’était à fendre l’âme. Je lui demandai si elle ne me reconnaissait pas. Elle tourna la tête du côté d’où était partie ma voix, ouvrit lentement ses grands yeux qu’elle promena sur les personnes qui étaient autour du lit : elle ne parut pas me reconnaître. Sur un signe de Mme Roset, je recommençai ma question : mais elle était retombée dans son assoupissement. Je n’y tenais plus. Ma tante, me voyant au moment d’éclater, me prit vivement par le bras et m’entraîna hors de la chambre. Il était temps : à peine dehors, je me mis à sangloter avec tant de force, que ma tante m’a dit plus tard en avoir été tout épouvantée.

Cette scène avait épuisé le reste de mes forces ; il me fallut garder le lit. À peine venais-je de m’éveiller le surlendemain, après une nuit de rêves affreux, quand j’entendis tinter une cloche. Je prêtai l’oreille : on sonnait un enterrement. Un frisson me courut de la tête aux pieds. Ma tante me dit que c’était le vieux Mathias Morizet qu’on allait enterrer, et elle se mit à me raconter diverses particularités de sa maladie. Au bout d’un instant, de grands bruits de pas résonnèrent dans l’escalier ; j’entendis des femmes qui pleuraient. — C’est elle, dis-je avec un cri effroyable : elle est morte ! — Je sautai en bas de mon lit et me précipitai vers l’escalier. Toutes mes forces semblaient m’être revenues. Ma tante voulut m’arrêter : je la repoussai ainsi que mes petits cousins qui se trouvaient avec elle, et je