Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/494

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toi, si le diable ne s’en était pas mêlé ? Pouah : il sent le soufre ici.

Voyant que je ne pourrais pas apaiser la colère de la vieille fille, j’avais pris le parti de remonter l’escalier, mais elle me suivit et entra avec moi dans ma chambre. — Pitié, Nanette ! lui dis-je. Ayez pitié d’un pauvre malade.

— Pitié, me répondit-elle, pitié pour toi ! Mais as-tu eu pitié de nous ? Ne t’es-tu pas glissé chez nous comme un voleur ? Comment l’as-tu trompée, dis, cette pauvre chère enfant ? Tu ne sais donc pas que je l’ai vue venir au monde ; c’est moi qui l’ai portée baptiser, moi qui l’ai menée faire sa première communion ! C’est à moi qu’elle a ri la première étant toute petite ; elle pleurait quand sa mère voulait me la prendre des bras. Comment donc l’as-tu ensorcelée ? C’est avec ces fleurs, n’est-ce pas ? Je l’ai toujours dit. Elle paraissait si contente quand tu lui en apportais, et un instant après elle se mettait à pleurer. Non, non, ce n’étaient pas des fleurs de chrétiens ; on n’en a jamais vu de pareilles. Moi qui me disais quand tu es parti : Bon, le voilà qui s’en va, elle va reprendre ses couleurs, ses joues se rempliront ; mais n’a-t-il pas fallu que de là-bas tu lui jettes encore un sort ! Diras-tu que ce n’est pas de ce moment-là qu’elle va plus mal et qu’elle s’est mise au lit ? Et tu demandes de la pitié !…

Une ridicule colère me prit ; j’allais me jeter sur Nanette, mais j’étais trop faible, je retombai sur ma chaise.

— Oh ! me dit-elle, on ne te craint pas. J’ai de l’eau bénite ; tiens, regarde cette fiole. J’en ai pris sur moi quand j’ai su que tu étais revenu. Le diable et toi, vous croyez déjà tenir cette pauvre enfant, vous ne l’aurez pas. Elle vient d’être administrée.

— Administrée ! dis-je faiblement, et je tombai sans connaissance.

Quand je revins à moi, j’aperçus Mme Roset, qui, tout en me donnant ses soins, cherchait à apaiser Nanette toujours furieuse. — Laissez-le donc crever, ce chien, disait la vieille fille ; je vous dis qu’il n’est pas chrétien. Tout à coup elle vit mon crucifix. — Un crucifix, cria-t-elle, un crucifix dans cette maison du diable ! Le bon Dieu a déjà bien assez souffert. Une chaise ! une chaise ! — Déjà elle était montée sur une chaise et allait saisir le crucifix ; Mme Roset s’efforçait en vain de l’en empêcher. Heureusement ma tante arriva : à elles deux, elles parvinrent à emmener Nanette ; mais avant de sortir, elle s’arrêta encore sur la porte pour m’accabler de malédictions.

Ce que je souffris tout ce jour-là, il m’est impossible de le dire. Moi qui aurais donné mille fois ma vie pour Mlle Élisa, j’étais son bourreau ! Cette idée me déchirait le cœur. Dans l’après-midi du jour