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Le lendemain matin, comme je me trouvais seul un instant, j’entendis une voix qui chantait dans l’escalier. J’ouvre ma porte, je regarde avec précaution. C’est Nanette, elle est sur le palier du second étage à éplucher des légumes. Ce n’est donc pas elle qui est malade ; Pierrette m’a donc trompé ! Nanette chantait la Chanson de Renaud[1] ; vous n’êtes pas sans la connaître ; c’est une des plus vieilles chansons de notre pays. Vous savez aussi combien l’air en est triste ; il y a de quoi pleurer de l’entendre. L’accent qu’y mettait Nanette me le faisait paraître plus triste encore.


Renaud de la guerre s’en vint,
Tenant ses tripes dans ses mains ;
Sa mère, qui était aux chambres en haut,
Vit venir son fils Renaud.

— Renaud, il y a gran’joie ici :
Ta femme vient d’accoucher d’un fils.
— Ni de ma femme ni de mon fils
Je ne saurais me réjouir.

Qu’on me prépare un blanc lit ;
Qu’il soit bien éloigné d’ici,
Pour que ma femme en son accouchée
Ne sache point mon arrivée.

Voilà qu’au milieu de la nuit,
Pauvre Renaud rendit l’esprit.
Les valets se mirent à pleurer,
Et les servantes à soupirer.


À mesure que chantait Nanette, sa voix devenait de plus en plus triste ; je vis bien qu’elle ne pensait qu’à Mlle Élisa. Arrivée à ce couplet, elle s’arrêta tout à coup, et il me sembla qu’elle faisait un mouvement pour essuyer une larme. Au risque de rencontrer Mme Roset, j’allais descendre l’escalier pour m’informer auprès de Nanette de cette pauvre demoiselle, quand la vieille servante reprit sa chanson.


Ah ! dites-donc, mère, m’amie,
Qu’entends-je donc pleurer ici ?
— Ma fille, c’est un de nos blancs chevaux
Qui à l’écurie se trouve maû.

— Ah ! dites donc, mère, m’amie,
Qu’entends-je donc taper ici ?
— Ma fille, c’est le charpentier
Qui raccommode l’escalier.

  1. La Chanson de Renaud est encore connue aujourd’hui dans beaucoup de provinces. Je la donne telle que je l’ai entendu chanter dans le Jura, et sans me permettre la moindre altération.