Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/481

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Marie ; je vis l’église éclairée, j’entendis les litanies de la sainte Vierge. Machinalement j’allai jusqu’à la perte ; je ne me proposais pas d’entrer, mais quelque chose de plus fort que moi me tira en dedans. J’entrai et m’agenouillai dans le coin des hommes derrière un pilier. J’y étais depuis quelques instans à peine, que déjà je me sentais beaucoup mieux. La moiteur embaumée de l’air, la sainteté du lieu, les souvenirs qu’il me rappelait depuis ma première communion jusqu’à ces temps encore si peu éloignés où, à genoux à cette même place, je priais avec tant de ferveur, la douceur des cantiques chantés par les jeunes filles, tout cela dissipa peu à peu le brouillard qui m’oppressait. Il me sembla qu’on m’ôtait comme un poids de dessus la poitrine. Le prédicateur monta en chaire ; de ma place je ne pouvais pas le voir, mais sa voix m’arrivait pleine et distincte. Elle avait une douceur et une onction que je n’ai jamais retrouvées chez aucun autre. Il parla sur la nécessité d’offrir au bon Dieu ses peines. L’an dernier, après je ne sais combien d’années, étant à la neuvaine…

— Ah ! dis-je en interrompant le vigneron, je m’en souviens. Ma chaise était à deux pas de la vôtre. Vous vous êtes trouvé mal, n’est-ce pas ?

— Précisément. Je venais de reconnaître le prédicateur. Mille souvenirs me prirent à la gorge, et je m’évanouis. C’est que jamais sermon ne m’avait remué comme celui-là. Les sanglots m’étouffaient ; j’étais sur le point d’éclater : je sortis à la hâte.

La nuit fut bonne pour moi, reprit Jean-Denis après un moment de silence : j’eus moins de fièvre et je dormis presque. Dès le lendemain, ce retour au bon Dieu me porta bonheur. Comme j’allais à la vigne, je rencontrai le vigneron de Mme Dupuis : c’était alors le père Renaudot ; vous avez dû le connaître. Il n’y aura que deux ans à la Chandeleur qu’il est mort. — Jean-Denis, me dis-je, voilà une belle occasion de te renseigner sur ce maudit mariage. Tu n’as encore osé questionner personne ; te gêneras-tu aussi avec le père Renaudot ? Tâche de l’amener adroitement sur le chapitre. — Je hâte le pas, j’aborde le brave homme ; on se souhaite le bonjour. Le père Renaudot était dans ses jours de médisance. Je le laissai d’abord commérer à son aise, quoique cela me peinât, n’ayant jamais aimé les mauvais propos sur le prochain. À la fin cependant il me fallut bien aborder la question. Nous n’avions plus que quelques pas à faire ensemble, et le père Renaudot n’avait pas l’air de vouloir tarir de sitôt. — À propos, lui dis-je brusquement comme si la chose me revenait à l’esprit, vous ne me disiez pas, père Renaudot, que vous allez être de noce.