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JEAN-DENIS
LE VIGNERON

HISTOIRE JURASSIENNE.

Un jour qu’au bord du bois je venais de cueillir quelques daphnés précoces, un homme déboucha devant moi d’un hallier : — Oh ! oh ! dit-il en apercevant mes fleurs ; déjà du bois-gentil ! Défiez-vous-en ; il vous portera malheur.

Je levai les yeux vers celui qui me parlait ainsi : c’était un homme d’une soixantaine d’années, petit, maigre, à l’œil encore vif, à la physionomie franche et cordiale. Il avait la veste et le pantalon de bage[1], et tenait une serpette à la main.

— Comment cela ? lui dis-je. Ce bois-gentil me portera malheur ?

— Oui, oui, me répondit-il, si vous voulez me croire, vous le jetterez ; autrement les yeux vous cuiront.

Je le priai encore de s’expliquer. Au lieu de me répondre, il alla à un autre hallier et se mit à y donner de droite et de gauche de grands coups de serpette. Je vis alors qu’il échenillait. — Holà, brave homme, lui criai-je, auriez-vous par hasard entrepris d’écheniller tout le bois ? Vous auriez vraiment fort à faire. — Mais déjà il avait disparu dans le buisson et ne m’entendait plus.

De retour à la ville, je m’informai s’il y avait contre le bois-gentil quelque superstition locale ; mais je ne pus rien découvrir. — Et qui

  1. La bage et le droguet sont des étoffes grossières dont s’habillent les vignerons du Jura.