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de morale que traite Rousseau. J’en dirai cependant un mot, parce que, selon moi, cette purification des caractères et des passions dramatiques et l’effet qu’ils produisent sur les spectateurs est la meilleure justification du théâtre et même de la littérature en général.


IV.

Corneille, dans son premier discours sur l’Art dramatique, cherchant ce que veut dire Aristote quand il exige que dans la tragédie les mœurs du héros soient bonnes, cite un passage de la Poétique ainsi conçu : « La poésie est une imitation de gens meilleurs qu’ils n’ont été, et comme les peintres font souvent des portraits flattés, qui sont plus beaux que l’original et conservent toutefois la ressemblance, ainsi les poètes, représentant des hommes colères ou débonnaires, doivent tirer une haute idée de ces qualités, en sorte qu’il s’y trouve un bel exemplaire d’équité et de douceur ou de fermeté ; et c’est ainsi qu’Homère a fait Achille bon. Ce dernier mot est à remarquer, continue Corneille, pour faire voir qu’Homère a donné aux emportemens de la colère d’Achille cette bonté nécessaire aux mœurs que je fais consister en l’élévation du caractère, et dont Robortel parle ainsi[1] : Unumquodque genus per se supremos quosdam habet decoris gradus et absolutissimam recipit formam, non tamen degenerans a suâ naturâ et effigie pristinâ. » Ces paroles du vieux commentateur italien cité par Corneille sont excellentes ; mais Corneille les a traduites et expliquées d’un mot, quand il parle de cette élévation qui est propre à chaque qualité humaine, et qu’il faut que le poète découvre et exprime. De même que chaque visage humain, si laid qu’il soit au premier coup d’œil, a son expression qui fait sa beauté, quemdam decoris gradum, et que les grands peintres seuls savent découvrir cette expression et la représenter de manière à faire un portrait qui soit en même temps ressemblant et beau, quoique le modèle soit laid, de même aussi les poètes épiques et dramatiques doivent chercher dans la qualité principale des héros qu’ils mettent en scène ce que cette qualité à de grand et d’élevé. C’est ainsi que les mœurs seront bonnes, comme le veut Aristote. Chaque qualité de l’âme humaine est entre un vice et une vertu. Si vous la poussez du côté du vice, vous faites de l’homme un démon ou une bête brute ; si vous la poussez du côté de la vertu, vous faites de l’homme un héros ou un ange. Cherchons un exemple de cette transformation d’un défaut en vertu qui est une des plus admirables

  1. Robortello, commentateur italien de la Poétique d’Aristote au XVIe siècle.