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aux règles de l’art[1]. Il est aussi sévère que Rousseau contre Molière, à qui il reproche d’avoir joué la vertu dans le Misanthrope et le mariage dans George Dandin. Il s’en prend enfin des vices du théâtre, et il a raison, aux spectateurs, au public, qui devrait imposer au théâtre le respect de l’honneur et de la vertu, et qui rit quand il voit le mal triompher du bien, pourvu qu’il triomphe gaiement.

Je me suis arrêté un instant sur le discours du père Porée[2], parce que ce discours, prononcé dans un collège et devant des cardinaux, montre bien mieux que la dissertation du père Caffaro, promptement rétractée par l’auteur, quelle était l’opinion d’une partie de l’église sur la question du théâtre. La compagnie de Jésus semble être restée fidèle jusqu’à un certain point à la doctrine du père Porée. De nos jours encore, le père Boone, dans une instruction contre le théâtre plus sévère que le discours du père Porée, se demande « s’il faut condamner absolument les personnes qui, par les devoirs de leur état, ne doivent pas abandonner la personne auguste de leur souverain, et qui par conséquent sont obligées de l’accompagner aux spectacles publics ? » Le père Boone permet aux aides de camp et aux dames d’honneur d’accompagner les princes au théâtre, à condition que les aides de camp et les dames d’honneur « se diront, en voyant paraître les acteurs sur la scène : Voilà des gens qui se damnent pour moi, et qu’ils gémiront du plus profond du cœur[3]. » Cette direction d’intentions peut faire sourire ; mais elle rentre dans les principes de la casuistique, c’est-à-dire dans cette équitable appréciation des circonstances d’une action, appréciation qui est le devoir de quiconque juge les hommes, soit dans un tribunal, soit dans un confessionnal. Le tort des casuistes n’est donc pas d’avoir trouvé les excuses légitimes du mal, parce que les excuses sont le droit inaliénable de la conscience humaine, mais d’avoir rédigé ces excuses et d’en avoir fait un manuel qu’on a pris pour un code complaisant offert aux pécheurs, tandis que c’était seulement une instruction adressée aux confesseurs.


III.

J’ai voulu faire l’histoire de la question du théâtre depuis les temps anciens jusqu’à Rousseau, et j’ai voulu aussi indiquer, d’après

  1. « Istud amatorium tragædiæ genus… »
  2. Voir l’excellente notice biographique et littéraire que vient de publier M. Alleaume sur le père Porée et sur son frère l’abbé Porée. Les deux frères méritaient un historien, et ils ne pouvaient pas en avoir un plus savant et un plus spirituel que M. Alleaume.
  3. J’emprunte cette curieuse citation à un article judicieux et piquant écrit dans la Revue de l’Instruction publique (mars 1853) par M. Rigaud, que je me félicite d’avoir pour collaborateur aux Débats.