demander plus pour avoir assez ; il faut viser à la vertu pour rester dans l’honnêteté. Les règles qui se font commodes, complaisantes, et qui tâchent de rattraper l’homme dans ses égaremens en l’y suivant de plus ou moins loin, ces règles-là ne ramènent point l’homme au bien, et c’est l’homme, au contraire, qui, de complaisance en complaisance, les entraîne au mal. Il sied donc à la morale d’être sévère, mais le casuitisme, qui, au lieu de prescrire les règles, est tenu d’examiner les divers cas de la conduite humaine, le casuitisme peut être plus indulgent, de même que le juré est naturellement plus indulgent que le législateur. Le législateur précise et définit le mal qu’il veut punir, et il est à son aise pour faire cette définition, puisqu’il la fait sur des cas qu’il prévoit ; le juré n’a pas à faire à ces définitions précises et rigoureuses, mais aux actions humaines, dans lesquelles le plus et le moins entrent nécessairement. Tous les vols sont également coupables, tous les voleurs ne le sont pas également, parce que les degrés du mal, comme ceux du bien, sont infinis dans l’âme humaine. Les casuistes sont des jurés ; ils pèsent et examinent, d’un côté la règle, de l’autre l’action qui s’en écarte, celle-ci de fort loin, celle-ci de moins loin. La règle chrétienne et ecclésiastique est de ne point aller au théâtre ; mais si je vais au théâtre voir Athalie ou Polyeucte, suis-je aussi coupable que si je vais voir un vaudeville frivole ou licencieux ? Il y a donc dans la faute que les spectateurs font en allant au théâtre des différences incontestables qui dépendent du genre de pièces qu’ils vont voir. La règle morale peut dédaigner ces différences, elle le doit même ; mais le casuitisme ou le confessionnal doit en tenir compte. Quand Nicole dit avec colère qu’il s’est trouvé de son temps des gens qui ont prétendu pouvoir allier sur ce point la piété et l’esprit du monde, il a raison de blâmer les moralistes relâchés et complaisans qui mettent le vice à la portée de la conscience ; il a tort, s’il blâme les directeurs avisés et prudens qui distinguent au théâtre, comme dans le monde, le genre de plaisir qu’on y va chercher. Il y a toujours eu dans l’église, à côté de ceux qui s’attachaient à la règle morale, et qui proscrivaient les spectacles comme absolument mauvais, ceux qui n’enveloppaient pas dans la même condamnation tous les auteurs et tous les spectateurs du théâtre. Les jésuites ont été de cette dernière école : accordant beaucoup à la liberté de l’homme et à ses œuvres, ils ne voulaient condamner les œuvres qu’après les avoir examinées. Quoi de plus juste ? Cette doctrine avait en même temps pour eux l’avantage de donner à la direction un pouvoir presque supérieur à la règle.
Ne voulant pas entrer dans cet examen du genre de plaisir que le monde va chercher au théâtre et aimant mieux condamner