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ses admirateurs, au poète Prati : « Celui qui te contriste, ô martyr, insulte l’Italie et Dieu ; mais toi, ô mon roi, console-toi ; la voix de l’ivresse ou de la folie ne peut flétrir la croix de Savoie ! » Ambitieux et traître pour les uns, Charles-Albert reste encore pour les autres avec cette figure de martyr de la cause de l’indépendance italienne.

Mais comment l’Italie et le Piémont sont-ils sortis de cette formidable crise ? Chose remarquable, après avoir été le plus engagé dans la lutte, après y avoir risqué son armée et sa fortune, le Piémont est de tous les états italiens celui qui en est sorti avec le moins d’atteintes. Il a eu, lui aussi, ses agitateurs, qui ne se contentaient pas de le pousser à la guerre, même quand elle était devenue impossible, qui voulaient encore le précipiter dans les révolutions démocratiques. Il a su se retenir sur cette pente de l’anarchie universelle, et à l’issue de la mêlée, il s’est retrouvé seul avec la constitution que Charles-Albert lui avait donnée, que son successeur a maintenue. L’explication de ce fait est peut-être tout entière dans cette vigueur primitive qui est dans la nature de ce petit pays, et qui lui a donné une consistance dont tant d’autres ont manqué. Les élémens préservateurs du Piémont ont été ses traditions, ses habitudes de discipline, ses mœurs plus sobres que brillantes, un esprit simple et pratique, difficile à éblouir et à entraîner. Au milieu de toutes les épreuves, il a reparu quelque chose de cette solidité qui fait l’originalité du caractère piémontais parmi toutes les populations italiennes, et qui est une garantie contre les surprises de l’esprit révolutionnaire, contre les brusques dissolutions. La permanence de ce vieux fonds national est encore aujourd’hui l’heureuse ressource du Piémont. Une autre de ses forces, c’est sa maison royale. Il n’est point de famille peut-être plus intimement identifiée à un pays. Ses ambitions elles-mêmes sont de celles qui popularisent une dynastie. Ce sont ces ambitions qui ont formé le Piémont et ont fait de la maison de Savoie le symbole vivant des destinées de cette petite nation. Ce n’est point seulement par là que la maison de Savoie a conservé sa popularité, c’est par une sorte de loyauté chevaleresque qui relève sa politique. Le roi actuel, Victor-Emmanuel, aurait pu sans nul doute supprimer la constitution ; cela lui eût été même facile, je pense, au moment surtout où une chambre tristement inspirée lui disputait les moyens d’une paix nécessaire. Il l’aurait pu encore après le 2 décembre, à la faveur des disgrâces nouvelles du régime parlementaire. Ni les occasions, ni les conseils peut-être ne lui ont manqué. Victor-Emmanuel n’en a rien fait, et le Piémont est resté sans trouble sous l’empire d’institutions libres. Quand on y songe, — sous le coup d’une défaite qui mettait le royaume de