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que l’Angleterre et la France, ils arrivaient au même point, puisque l’Autriche était munie d’une autorisation d’entrer dans les principautés et de les faire évacuer au besoin par la force, puisque son armée était réunie sur la frontière de la Valachie, puisqu’enfin la note partie de Vienne et de Berlin le 2 juin demandait au tsar Justement la même chose que lui avaient demandée la France et l’Angleterre avant d’ouvrir les hostilités. Certainement les communications personnelles des deux souverains allemands devaient adoucir dans la forme le caractère péremptoire des dépêches officielles de leurs chancelleries ; elles devaient surtout invoquer bien d’autres motifs intimes et particuliers auprès de l’empereur Nicolas. Dans le fond, il ne restait pas moins une demande précise, appuyée d’une menace implicite d’agir par la force, s’il était nécessaire. Au bout de la note du 2 juin, il y avait évidemment la guerre. Telles sont les circonstances dans lesquelles la réponse du tsar est parvenue, après un mois, aux deux cours allemandes. C’est le colonel de Manteuffel, envoyé du roi de Prusse à Saint-Pétersbourg, qui a été chargé de la porter à Berlin. Le prince Gortchakof, frère du commandant en chef de l’armée du Danube, a été chargé d’aller la remettre à Vienne. La réponse du cabinet russe est arrivée aux deux gouvernemens le même jour, le 5 juillet.

Chose étrange, quand on décompose cette réponse telle qu’elle résuMe des versions les plus accréditées, on n’y retrouve en définitive que les prétentions émises dès l’origine par la Russie, et toujours maintenues par elle depuis sous la forme des propositions diverses qui se sont succédé ! Elle peut être évasive en ce sens qu’elle ne répond point directement à la demande qui était adressée au cabinet de Saint-Pétersbourg, et qu’elle semble accepter le principe de négociations nouvelles. Par le fait, rien ne ressemble moins à une politique visant sincèrement à la paix. La Russie accepte le principe de la protection commune des chrétiens d’Orient tel qu’il a été établi dans les protocoles de la conférence de Vienne, mais à la condition, ajoute-t-on, que cela ne préjudicie en rien à son droit spécial de protectorat religieux sur les populations grecques de la Turquie. S’il en était ainsi, à quoi servait le protectorat commun de l’Europe ? Il en résulterait que le continent n’aurait pris les armes que pour donner, par l’autorité de son intervention, une force nouvelle au droit que revendique le tsar. — La Russie, d’après sa réponse, ne consentirait pas à se retirer du territoire ottoman, et la raison qu’elle en donne et que les principautés sont le seul point où elle puisse agir avec avantage, tandis que ses flottes sont bloquées dans ses ports et que les armées anglo-françaises sont elles-mêmes sur le Danube. Elle continuerait donc à occuper la Moldavie pour des motifs stratégiques. Le cabinet de Saint-Pétersbourg enfin se montre prêt à entrer en négociations pour le rétablissement de la paix, pourvu qu’il lui soit garanti que rien ne sera tenté contre la Russie pendant ces négociations. En d’autres termes, œ que demanderait le cabinet russe, ce serait un armistice qui le garantirait contre toute entreprise sur mer aussi bien que sur terre. S’il est vrai, comme on le dit, que tel soit le sens de la réponse russe à la note austro-prussienne du 2 juin, on peut l’interpréter comme on voudra, on arrivera toujours à cette conclusion : la Russie maintient les privilèges religieux qu’elle a toujours revendiqués avec le plus de ténacité ; elle reste dans ses positions menaçantes vis-à-vis de la Turquie. Elle veut d’ailleurs être garantie contre toute attaque par un armistice, et