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la première conquête à laquelle elle ait à songer, celle d’une bonne administration ; si elle gagnait par les services qu’elle nous aurait rendus la confiance de la France et de l’Angleterre, n’avait-elle pas le droit de compter sur notre reconnaissance ? Il n’y a dans tous les cas qu’une puissance en Europe qui ait frappé l’avenir de la Grèce d’une interdiction péremptoire, et la Grèce a pu le voir depuis par la déclaration de l’empereur Nicolas à sir Hamilton Seymour : cette puissance, c’est la Russie.

Les conseils et les avertissemens de la France et de l’Angleterre ne manquèrent point au gouvernement grec, pour l’éclairer sur ses véritables intérêts dans la lutte qui allait s’engager. Malheureusement le roi Othon avait pris son parti. Les envoyés français et anglais ne cessaient de recommander à ses ministres de contenir et de réprimer les manifestations des partisans de la grande idée. M. Païcos et ses collègues admettaient dans leurs entretiens la sagesse de ces conseils, mais restaient dans une inertie absolue, lorsqu’il s’agissait de les suivre. Au contraire, toute leur conduite montrait clairement leurs véritables tendances. Ainsi M. Vlachos, le ministre de l’instruction publique, laissait le Siècle continuer ses prédications fanatiques sans leur opposer un mot de blâme dans les journaux officiels. M. Païcos permettait aux consuls grecs de patroner les souscriptions en faveur de la grande idée. Le colonel Scarlato Soutzo, qui avait succédé au général Spiro Milio au ministère de la guerre, remplaçait les commandans des forteresses par de jeunes officiers notoirement dévoués à la Russie. Il était impossible de ne pas reconnaître dans les actes des ministres la politique du roi, puisqu’en Grèce les ministères ne comptent pas avec les chambres, composées des créatures de la couronne, et ne tiennent leur existence que de la volonté royale. Ce système produisit ses résultats naturels. L’agitation populaire, ne rencontrant pas d’obstacles, ne fit que s’accroître. Le 19 décembre 1853, jour de la fête de l’empereur Nicolas, le portrait du tsar, entouré de lauriers, fut exposé dans les cafés et les boutiques ; les prêtres prièrent dans les églises pour l’empereur orthodoxe ; des démonstrations publiques célébrèrent l’événement de Sinope. Le jour de l’an, les Grecs s’abordaient en se donnant rendez-vous pour l’année prochaine à pareil jour à Constantinople. La grande faute du gouvernement, en favorisant ce mouvement d’opinion, fut de tromper la nation sur les dispositions réelles de la France et de l’Angleterre : les Grecs ne supposaient pas que leur gouvernement agît dans cette affaire contrairement aux volontés des alliés naturels de la Grèce. « Vous ne pouvez croire, disait un jour M. Scarlato Soutzo à un ministre étranger, combien nous sommes tourmentés de l’idée que notre sagesse, si nous restons sages, ne soit prise en Europe pour de l’impuissance et