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pour la guerre sainte. Tel fut le premier acte inconsidéré du gouvernement grec ; il fut accompli immédiatement après le départ d’Athènes de l’amiral Kornilof[1].

Le corps d’armée rassemblé sur la frontière turque fut bientôt porté à plus de deux mille hommes, sous le commandement du colonel Scarlato Soutzo. Pour défendre les deux villages réclamés par les Turcs, cette force était évidemment insuffisante ; contre les brigands, elle était exorbitante : jamais le gouvernement grec n’avait employé deux mille hommes pour la répression du brigandage, et d’ailleurs ce n’était pas sur la frontière seule que les bandits commettaient leurs excès. Dans ce moment même, des bandes infestaient impunément les replis du Parnasse : vers le milieu d’avril, le village de Dernitza avait été attaqué et pillé en plein jour par une troupe de quinze hommes que l’on ne songea point à poursuivre ; quelques jours après, une autre bande passait de Lamia dans l’Eubée, et là, dans le petit village de Limni, assassinait un ancien démarque et blessait plusieurs personnes. Des observations furent présentées dans ce sens, mais inutilement, par les ministres de France et d’Angleterre, MM. Forth-Rouen et Wyse, au gouvernement grec. Cependant l’effervescence ne s’étendit pas alors au-delà du parti russe et des sectaires de la grande idée. Le Siècle était encore isolé dans la presse. Ce parti conservait, il est vrai, une vivante influence dans les masses incapables d’apprécier la situation délicate de la Grèce, et qui n’étaient accessibles à d’autres sentimens que la passion religieuse et la haine des Turcs ; mais les hommes éclairés, les vrais patriotes grecs, ceux qui se rattachaient aux légations de la France et de l’Angleterre, combattaient encore avec succès les prédications du parti russe. Ils comprenaient que les progrès de la Russie ne pouvaient qu’être funestes à l’indépendance de la Grèce. À l’intérêt religieux ils opposaient l’intérêt de l’autonomie grecque. Ils soutenaient que le triomphe de la Russie entraînerait l’absorption de leur nationalité et de leurs institutions dans l’absolutisme panslaviste, et serait la ruine de la liberté et de la civilisation helléniques. Telles étaient à Athènes les opinions dominantes dans les cercles lettrés et commerçans, et ces opinions gagnaient chaque jour du terrain. Le gouvernement grec eût donc trouvé là, s’il l’eût voulu, un point d’appui sérieux contre les entraînemens du parti russe[2].

« Après la première fermentation excitée par l’ambassade Menchikof et par cette démonstration militaire, la Grèce resta dans l’attente. La guerre n’avait point éclaté ; l’Europe avait pris à Vienne

  1. M. Wyse to the earl of Clarendon. Corresp., no 1, 5, 9.
  2. M. Wyse to the earl of Clarendon. Corresp., no 19, 21.