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Grecs ce qu’ils sont, qu’il ne pouvait employer d’autres instrumens que ceux qu’il avait sous la main, et que sa situation de roi constitutionnel l’a souvent obligé de pactiser avec les défauts des hommes qu’il avait à gouverner. En voyant l’état de décomposition morale de ce pays, où vingt-deux ans d’indépendance reconnue n’ont rien fondé de solide, où le gouvernement est mal assis, où les hommes politiques n’ont aucun principe, où les masses ne se sont pas encore élevées au-dessus des rayas de l’empire ottoman, où la partie intelligente de la nation consacre toutes ses facultés à la satisfaction de ses appétits personnels, ce n’est donc pas au roi Othon qu’il faut imputer tout le mal. Le blâme devrait remonter plus haut encore ; on aurait le droit d’adresser des reproches fondés à la négligence des puissances protectrices et surtout à la fausse politique qui a si longtemps porté la France et l’Angleterre à faire de la Grèce le théâtre de rivalités sans prévoyance, sans profit et sans gloire.

L’on doit reconnaître en effet que, parmi les obstacles qui ont le plus contribué à empêcher les progrès de la Grèce, l’action diplomatiques mal engagée de la France et de l’Angleterre a été un des plus graves. Ce n’eût pas été trop de l’union et de la coopération cordiale des deux puissances occidentales pour aider le gouvernement grec à triompher de ses difficultés intérieures, et pour contrebalancer l’influence de la Russie sur les Hellènes. Certes il n’y avait dans les choses ni dans les hommes politiques de la Grèce rien d’assez considérable ni d’assez élevé pour que deux grandes puissances telles que la France et l’Angleterre pussent regarder leur amour-propre ou leurs intérêts comme liés aux petits reviremens de la politique athénienne. L’honneur des puissances occidentales n’était engagé qu’à une chose en Grèce, au succès d’une combinaison politique et d’une régénération de race qui était leur œuvre ; quant à leur intérêt, il était le même. Dans la prévision des éventualités de la question d’Orient, il fallait préparer une Grèce étroitement unie à la civilisation occidentale et capable de résister un jour aux empiétemens de la Russie. La France et l’Angleterre, oubliant ces vues d’avenir, aimèrent mieux servir les ressentimens, les rivalités, les intérêts particuliers des anciens chefs hellènes, encourager et perpétuer les divisions, épouser chacune un tiers de la nation pour répudier les deux autres. La conduite de la Russie fut bien plus habile. Quoique la Russie ait eu, elle aussi, des préférences personnelles, elle ne les a jamais affichées aussi ouvertement que l’Angleterre et que la France. Par la communauté de la foi religieuse, elle avait une popularité parmi les masses qu’elle a ménagée avec art. Les trois partis étaient loin d’avoir en elle la même confiance, mais aucun d’eux ne la regardait comme lui étant directement hostile et ne rompait avec