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trouvait sur le sol même du Piémont son Waterloo à Novare. Durant ces journées du 21, du 22, où des combats partiels précédaient et préparaient le dénoûment, Charles-Albert avait vu clairement l’extrémité de sa position. Sur son visage se peignaient les anxiétés de son âme. Quelquefois il allait seul à cheval en avant de son escorte, ayant l’air de méditer une grave résolution. Si quelqu’un de ses officiers essayait de le distraire de sa préoccupation, il répondait à peine. On l’entendit murmurer : « Il y aura une bataille avant d’arriver à Turin, puis on fera la paix ; pour moi, tout est fini ! » Le jour de Novare, Charles-Albert ne quittait pas le champ de bataille depuis le matin, et se tenait au plus chaud de la mêlée avec une stoïque intrépidité. Un moment même, voyant ses bataillons déjà ébranlés et contraints de se replier, il s’arrêta près de l’église de la Bicocca, dans l’enfilade d’une batterie ennemie dont les projectiles pleuvaient autour de lui, et comme le général Durando le pressait de se mettre un peu de côté : « Tout est inutile, disait-il, laissez-moi mourir, ceci est mon dernier jour. » Cette bataille cependant, livrée presque sans espoir, elle était soutenue pendant huit heures. La position principale, occupée par le roi lui-même, avait été prise et perdue quatre fois, et les Autrichiens avaient trois mille hommes hors de combat.

Quand la défaite devint manifeste, Charles-Albert soutint le dernier la retraite sous les murs de Novare, comme il avait été le premier au combat, et il ne repassa la porte de la ville qu’après toute son armée. La première pensée devait être évidemment de demander un armistice au vainqueur. Le général Cossato fut envoyé au camp autrichien ; le maréchal Radetzky faisait de dures conditions. Le roi, rassemblant aussitôt ses généraux, leur communiqua ces conditions : «Vous voyez, messieurs, dit-il, qu’on ne peut les accepter… Maintenant croyez-vous qu’on puisse reprendre les hostilités et combattre efficacement l’ennemi ? » La réponse fut unanime, pas un des officiers présens ne pensa qu’il fût possible de prolonger la lutte. La situation n’avait point d’issue en présence de la loi inacceptable du vainqueur et d’une lutte impossible. C’est dans ce moment que Charles-Albert prononça ces paroles, qui étaient l’expression d’une résolution mûrie et arrêtée : « J’ai toujours fait depuis dix-huit ans, dit-il, tout ce qu’il m’était possible pour le bien de mes peuples ; il m’est douloureux de voir mes espérances trompées, non pas tant pour moi que pour le pays. Je n’ai pas pu trouver la mort sur le champ de bataille, comme je l’aurais désiré. Peut-être ma personne est aujourd’hui le seul obstacle à un arrangement équitable avec l’ennemi ; comme il ne reste plus de moyens de continuer les hostilités, j’abdique en ce moment la couronne en faveur de mon fils Victor, dans l’espoir que le nouveau roi pourra obtenir de meilleures conditions et procurer