Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/373

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’amour, la loyauté, la foi, comme tout cela a disparu de la terre ! et que le café est cher ! et que l’argent est rare !

Les jeux de l’enfance sont passés, et tout route et s’en va, l’argent, le monde, le temps, et la foi, et la loyauté, et l’amour.

XXXVII.

Mon cœur est oppressé, et je songe aux jours d’autrefois avec des regrets ardens. Le monde alors était une demeure si commode ! la vie était si paisible !

Aujourd’hui quel désordre ! quelle cohue ! quelle misère ! Le Seigneur Dieu est trépassé là-haut ; là-bas aussi, le diable est mort.

Et tout a un air triste et morose ; tout est embrouillé, tout est flasque et froid. Sans le brin d’amour qui nous reste, il n’y aurait rien où le cœur pourrait se reposer.

XXXVIII.

Comme la lune sort brillante de son noir crêpe de nuages ! Ainsi du fond ténébreux de mes souvenirs s’élève à mes yeux une image lumineuse.

Nous étions assis sur le pont du navire, nous descendions fièrement le Rhin, et les rives du fleuve parées de la verdure de l’été étincelaient des feux du couchant.

J’étais assis pensif aux pieds d’une dame belle et charmante ; sur son doux et pâle visage se jouait un rouge rayon, un rayon rouge du soleil.

Des luths résonnaient, des jeunes gens chantaient. merveilleuse allégresse ! Et le ciel devint plus bleu, et mon âme s’agrandit.

Devant nous, comme des apparitions fabuleuses, passaient les montagnes et les châteaux, les forêts et les prairies, et comme dans un miroir je voyais briller et se refléter tout cela dans les yeux de ma belle compagne.

XXXIX.

Je vis en songe ma bien-aimée : c’était une pauvre femme accablée de tristesse, et son beau corps, si richement épanoui naguère, s’inclinait tout flétri.

Elle portait un enfant sur son bras, elle en conduisait un autre par la main ; sa démarche, son regard, ses vêtemens, tout trahissait la misère et l’angoisse.

Elle allait chancelant par la place du marché ; là, elle me rencontre, elle me regarde, et moi, d’une voix calme et attristée, je lui dis ;