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« Les jeunes gens meurent aussi quelquefois, me disait à Londres un homme très distingué avec lequel nous parlions de la question slave. — C’est certain, lui répondis-je ; mais ce qui est beaucoup plus certain, c’est que les vieillards meurent toujours. »


Parmi les divers écrits politiques publiés dernièrement en russe par M. Hertzen figure encore un chaleureux appel à ses compatriotes en faveur de l’émancipation de la Pologne ; il a pour titre : Les Polonais nous pardonnent, M. Hertzen, diront les Russes, aurait pu choisir un titre plus heureux, et en effet il n’est point nécessaire de remonter bien haut dans l’histoire de Russie pour savoir que les Polonais ont été pour le moins aussi impitoyables que leurs voisins chaque fois que le sort les a favorisés dans la lutte qui depuis tant de siècles divise les deux pays. Nous préférons de beaucoup, parmi ces petits essais, celui que M. Hertzen a intitulé la Propriété baptisée. C’est, on le comprend de reste, le servage que l’auteur prend à partie, et il le combat sans ménagement. Néanmoins le publiciste russe nous permettra d’observer à ce propos que dans toutes ses dernières compositions il nous paraît avoir dépassé les bornes que l’on assigne ordinairement à la critique. Le bon droit et la dignité du langage peuvent fort bien se concilier, même en matière politique.

Nous croyons en avoir dit assez pour caractériser un côté qui est après tout secondaire dans le talent de M. Hertzen ; voyons-le sous un aspect plus favorable. — C’est au romancier de nous faire oublier les exagérations de l’écrivain politique.


II.

Avant M. Hertzen, Nicolas Gogol avait dévoilé avec une singulière hardiesse quelques-unes des plaies de la société russe. C’étaient les rangs inférieurs de la noblesse provinciale qu’il avait surtout étudiés. Le principal roman de M. Hertzen, — À qui la faute ? — est aussi un tableau de la vie de province en Russie, mais c’est dans l’intérieur d’un propriétaire russe de haut parage que M. Hertzen nous introduit. Suivons le romancier. Qu’on ne s’attende point à être surpris par des incidens imprévus. L’action est simple, mais la plupart des figures qu’il fait passer sous nos yeux sont d’une vérité frappante. Les détails de mœurs sont retracés avec une précision extrême. Quant à certaines attaques contre le mariage qu’on peut remarquer avec surprise, il faut, pour les comprendre, se reporter à l’époque où paraissait le roman. Déjà l’écrivain russe avait pu lire d’autres romans français où l’institution du mariage était assez vivement attaquée. Il faut se rappeler aussi que M. Hertzen est un jeune hégélien. Ces observations faites, il ne reste qu’à entrer dans le récit.