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superficiellement imités sur le naturel ? Vous serez forcé de dire qu’il est sublime, pour vous dispenser de lui accorder la beauté.

Michel-Ange avait vu les statues antiques comme nous ; l’histoire parle du culte qu’il professait pour ces restes merveilleux, et son admiration valait bien la nôtre ; cependant la vue et l’estime de ces morceaux n’a rien changé à sa vocation et à sa nature ; il n’a pas cessé d’être lui, et ses inventions peuvent être admirées à côté de celles de l’antique.

On remarquera que parmi les productions d’un même maître, ce ne sont pas toujours les plus régulières qui ont le plus approché de la perfection. Je citerai Beethoven comme un exemple de cette particularité. Dans son œuvre entière, qui semble n’être qu’un long cri de douleur, on remarque trois phases distinctes. Dans la première, son inspiration se modèle sans effort sur la tradition la plus pure : à côté de l’imitation de Mozart, qui parle la langue des dieux, on sent déjà respirer, il est vrai, cette mélancolie, ces élans passionnés qui parfois trahissent un feu intérieur, comme certains mugissemens qui s’exhalent des volcans alors même qu’ils ne jettent point de flammes ; mais à mesure que l’abondance de ses idées le force en quelque sorte à créer des formes inconnues, il néglige la correction et les proportions rigoureuses : en même temps sa sphère s’agrandit, et il arrive à la plus grande force de son talent. Je sais bien que dans la dernière partie de son œuvre les savans et les connaisseurs refusent de le suivre : en présence de ces productions grandioses et singulières, obscures encore ou destinées peut-être à le demeurer toujours, les artistes, les hommes de métier hésitent dans le jugement qu’il en faut porter ; mais si l’on se rappelle que les ouvrées de sa seconde époque, trouvés indéchiffrables d’abord, ont conquis l’assentiment général et sont regardés comme ses chefs-d’œuvre, je lui donnerai raison contre mon sentiment même, et je croirai, cette fois comme beaucoup d’autres, qu’il faut toujours parier pour le génie.

Les critiques ne se sont pas toujours accordés sur les qualités essentielles qui établissent la perfection. Ceux qui seraient tentés de condamner aujourd’hui Beethoven ou Michel-Ange au nom de la régularité et de la pureté les auraient absous et portés aux nues dans d’autres temps, où triomphaient d’autres principes. Ainsi les écoles ont placé ces principes tantôt dans le dessin, tantôt dans la couleur, tantôt dans l’impression, tantôt, — qui le croirait ? — dans l’absence de toute couleur et de toute expression. Les peintres anglais du dernier siècle et du commencement de celui-ci, école éminente et peu appréciée dans notre pays, les voyaient surtout dans les effets de l’ombre et de la lumière, comme on ne veut les voir aujourd’hui que dans le contour, c’est-à-dire dans l’absence complète de l’effet.