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accessibles à la raison, il ne suit pas qu’ils y soient arrivés par la voie méthodique de la raison. Aussi leurs erreurs de doctrine n’ont-elles pas besoin d’être niées ni palliées. On peut très bien trouver dans saint Thomas du sensualisme, dans Pascal du scepticisme, dans Malebranche du panthéisme, sans entendre le moins du monde que leur profession de foi fût celle de Hobbes, de Hume ou de Spinoza. On veut dire seulement que cela aurait bien pu arriver, s’ils n’eussent été chrétiens, et que leurs principes spéculatifs les auraient pu logiquement mener à de mauvaises conséquences. Leur foi triomphait de leur système ; la religion inclinait ensemble ces illustres dissidens devant le même autel et mettait sur leurs lèvres les leçons du même catéchisme.

On pense bien qu’après s’être placé sous la protection de ces grandes autorités, M. Gratry déduit à son tour les principes de la connaissance de Dieu. Il s’attache à rendre encore plus claire et plus forte la démonstration de la présence de l’être divin dans l’universalité des choses par la présence du sens divin dans la raison humaine. L’argumentation et le sentiment s’unissent pour animer les belles pages que cette grande vérité lui inspire. Nous ne pouvons ici que souscrire et approuver. Notons cependant une idée particulière à M. Gratry, et sur laquelle il revient souvent parce qu’elle est nouvelle : c’est que le calcul infinitésimal est à la fois une application de la méthode philosophique qu’il recommande, un exemple de la certitude et de l’excellence de cette méthode, et même une preuve directe et comme une forme particulière des vérités de théodicée auxquelles elle conduit. Leibnitz a dit sans doute : « Il y a de la géométrie partout, » et l’on conçoit malaisément au premier abord qu’il existe deux manières différentes de spéculer sur l’infini. Cependant l’idée de M. Gratry n’a point, il le sait, satisfait tous les esprits, et s’il y tient, nous pensons qu’il doit la développer davantage. Il promet de le faire dans sa Logique. Jusqu’ici, en identifiant presque le calcul infinitésimal et la méthode philosophique, il n’a fait, ce nous semble, qu’un rapprochement ingénieux. L’infini mathématique, tel du moins qu’il le présente, n’est encore qu’un infini logique, et non l’infini réel et vivant qu’il faut à la théodicée. Nous n’espérons pas beaucoup de nouvelles recherches à cet égard. Nous remarquerons cependant qu’elles ont tenté des esprits distingués. M. Bordas-Demoulin a déjà tiré un certain parti du calcul différentiel en traitant des questions semblables à celles qui nous occupent, et ce calcul est appliqué d’une manière originale et même profonde dans un ouvrage moins connu qu’il n’est digne de l’être, la Philosophie de la Révélation, par M. Grandet ; mais attendons la Logique de M. Gratry.

Elle est bien nécessaire pour compléter son ouvrage, où l’on chercherait vainement une exposition suffisante des attributs de l’être