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méthode philosophique. De ce point élevé, on voit selon lui toutes les routes ouvertes devant soi, celle de la religion, celle de la science, celle de la vertu. Méditant une philosophie, c’est de là qu’il la commence. Il ne la donne pas pour nouvelle, la vérité n’est pas d’hier, et il y a longtemps que Dieu a fait le monde. L’esprit de l’homme marche vers elle quand il le veut, et la révélation l’y rappelle quand il l’oublie ; mais comme il se détourne de sa voie et que l’appel de la religion ne se fait pas toujours entendre, l’antique vérité doit être sans cesse redite, sans cesse accommodée aux nouveaux besoins, aux infirmités nouvelles de l’humanité, sans cesse retournée sous toutes ses faces, repourvue de toutes ses armes, justifiée par les nouvelles expériences, par les nouvelles découvertes. C’est ainsi qu’on peut refaire une philosophie, récrire une théodicée, quoiqu’elles ne soient en substance que la philosophie et la théodicée du XVIIe siècle, qui étaient elles-mêmes la philosophie et la théodicée de tous les temps.

À la démonstration de cette idée par le raisonnement, l’histoire et la critique, M. Gratry consacre la plus grande partie de son livre. La preuve de Dieu par l’idée de Dieu, fondement tout à la fois de toute religion et de toute raison, principe de foi et de science dont nous ne le voulons pas accuser d’outrer l’importance, il la trouve dans Platon, et assurément il n’a pas de peine à l’y montrer, surtout après l’excellent ouvrage de M. Janet[1] ; mais il la montre d’une manière attachante et claire. Puis il s’efforce avec des succès divers de la suivre, de la faire apparaître fidèlement conservée ou reproduite dans Aristote, saint Augustin, saint Thomas d’Aquin, Descartes, Pascal, Malebranche, Fénelon, le père Pétau, le père Thomassin, Bossuet, Leibnitz ; nous les citons tous et dans leur ordre. Cette revue des maîtres de l’esprit humain à la lumière d’une seule idée est pleine d’intérêt et d’enseignement, et cette idée est celle de la permanence d’une vraie philosophie, distincte de la vraie religion, mais rendue par la vraie religion plus complète, plus stable, plus lumineuse et plus puissante. Nous n’avons rien à redire à cela ; mais nous pourrions n’être pas également satisfait de toutes les preuves de détail par lesquelles la thèse est établie. Ainsi M. Gratry ne nous paraît pas échapper entièrement à la critique que nous soumettions à M. Lescœur. Il tient tant à rallier tous les grands esprits à une même doctrine, qu’il conclut trop facilement de ce qu’un philosophe est un grand esprit que cette doctrine est la sienne, et de ce qu’un écrivain est dans la vérité, qu’il y est arrivé par la voie des grands esprits. Pour faire rendre un témoignage uniforme à des autorités diverses, il efface leurs différences, et croit ensuite à l’unanimité qu’il a faite.

Ne lui reprochons pas de grandir Platon. Ne disons pas qu’en

  1. Essai sur la dialectique de Platon, par M. Paul Janet, 1848.