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passer ces vérités de la croyance dans la science. Le curé du dernier hameau des Pyrénées peut affirmer les mêmes choses que Bossuet, quoiqu’il n’y voie pas tout ce qu’y voit Bossuet. Ainsi, dans la littérature sacrée, on ne doit pas, trompé par l’identité des expressions, supposer à tous les pères les mêmes lumières parce qu’on leur reconnaît la même foi.

Je crains que ces deux observations n’aient pas été faites par le père Thomassin, et M. Lescœur, pour qui assurément elles ne sont pas nouvelles, n’en a peut-être pas tenu lui-même assez de compte. Notre sincérité doit répondre à sa bienveillance pour la philosophie ; nous ne voulons pas qu’elle reçoive de lui plus qu’il ne lui doit.

M. Lescœur a dédié son livre à M. Gratry, dont l’ouvrage, publié après le sien, semble cependant l’avoir inspiré. Ici se montre à nous la pensée originale, destinée à former une école. On peut, si l’on veut, la faire remonter au père Thomassin ; la modestie de nos deux auteurs ne réclamerait pas, mais nous réclamerions pour eux. Ils ne nous ont pas convaincu que Thomassin sût rien de plus qu’exposer à merveille les idées d’autrui. Il dit comment les autres ont philosophé, il ne philosophe pas pour son compte. Certes on ne peut dire cela de M. Gratry. Son livre n’est pas un simple examen critique. Quoiqu’il y ait de la science et du talent, il n’appartient ni à l’érudition ni à la littérature ; c’est un véritable ouvrage de philosophie religieuse.

Avec lui, nous ne sommes plus dans le domaine de l’histoire ou de l’abstraction. Si nous ne nous trompons, l’auteur écrit, pour ainsi parler, avec tout lui-même. Ce n’est pas une pure intelligence qui s’adresse sèchement à de simples intelligences. Il ne saurait pas, il ne voudrait pas se diviser ainsi. L’homme et le prêtre respirent dans son œuvre, — un homme d’une vive imagination, un prêtre d’une ferveur inquiète, qui s’émeut en méditant, que le spectacle de la terre trouble et passionne, que la contemplation céleste émeut et ravit ; un composé ardent de réflexion et de sensibilité, de science et d’enthousiasme, de géométrie et de mysticisme, capable de se laisser agiter, prévenir, entraîner tantôt par des sévérités, tantôt par des tendresses sans mesure, ayant des intolérances d’esprit dédaigneuses, véhémentes, emporté par elles, et cependant retenu ou ramené par une volonté bienveillante, par une chaleur de sympathie, par un besoin tout spirituel de maintenir son âme dans la sphère où la méditation même est amour et prière. Il nous excusera de parler de lui. Pourquoi s’est-il mis tout entier dans son ouvrage, et semble-t-il qu’on le connaît quand on l’a lu ?

II n’écrit pas pour tous les temps. C’est à son temps qu’il parle. Il ne combat pas l’erreur en général, et ne cherche pas à guérir des maux imaginaires. Il voudrait guérir le mal dont la vue blesse ses