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Des deux preuves que nous tenons pour fondamentales, la première se recommande et s’explique d’elle-même : c’est une preuve de sens commun ; aussi a-t-elle été souvent développée, et elle est susceptible de développemens inépuisables comme la science de la nature. Un livre de l’ouvrage de Fénelon est consacré à l’exposer, comme on pouvait le faire de son temps, et c’est aussi l’idée principale de la célèbre Théologie naturelle de William Paley, si estimée des Anglais et à laquelle lord Brougham a fait de précieuses additions. L’Angleterre, qui aime tout ce qui s’appuie sur des faits d’expérience palpable, a cultivé de préférence cet art de forcer la nature à confesser son auteur. Le comte de Bridgewater a légué en 1829 à la Société royale de Londres une somme à distribuer aux écrivains qu’elle chargerait de démontrer la Providence par les découvertes même de la science. D’excellentes publications (Bridgewater Treatises) ont répondu à cet appel, grâce à Thomas Chalmers et à MM. Whewell, Buckland, Maculoch, Babbage, etc. Le travail géologique de M. Buckland est, je crois, le seul connu en France. Parmi nous. Bernardin de Saint-Pierre a peut-être poussé jusqu’à l’abus le même genre d’argumentation dans ses Études et dans ses Harmonies de la Nature, Dernièrement encore, sous le titre de Théologie de la Nature, M. Strauss-Durckheim a publié trois volumes où il y a du savoir et de la sincérité. Enfin l’idée d’une Providence suprême, qui ressort ainsi de la contemplation du monde, a été reprise et exposée avec beaucoup d’élévation et de solidité dans un essai très remarquable de M. Bersot.

Cette démonstration, appuyée sur la physique, est donc trop pratiquée et trop connue pour qu’il soit nécessaire de nous y arrêter longtemps. On soutient d’ailleurs qu’elle suppose l’idée même de Dieu, sur laquelle s’appuie la preuve appelée métaphysique. Celle-ci est dite à priori, en ce sens qu’indépendamment de toute expérience extérieure, elle se trouve dans l’esprit humain ; mais, quoique si voisine de nous, elle ne se laisse pas saisir au premier coup d’œil de l’intelligence, et comme nous serons obligé de la supposer connue en parlant des nouvelles théodicées oratoriennes, il faut essayer d’en donner quelque notion, en évitant tout appareil scolastique.

Demander d’où vient l’idée de Dieu, si elle ne vient de Dieu même, ce serait déjà en avoir dit quelque chose. Nul besoin en effet d’être métaphysicien pour admettre qu’il est singulier que notre esprit conçoive si facilement, si communément, la notion d’un être suprême, qui n’est comparable à rien de ce que nous connaissons, dont l’intelligence et la puissance dépassent tout ce que nous avons vu, dont enfin nous comprenons immédiatement que la nature est pour nous incompréhensible, si notre esprit n’a pas été fait pour cette