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la preuve populaire, la preuve des époques primitives et celle des temps modernes. Sans prétendre revenir sur ce qu’il a dit, nous réduirons ici à cinq principales les preuves usitées de l’existence de Dieu. La première se tire du spectacle du monde, la seconde du consentement universel des peuples, qui tous ont eu une certaine religion, la troisième de l’existence du mouvement, la quatrième de la nécessité d’un être nécessaire, la cinquième de la présence de l’idée d’une perfection infinie dans l’esprit humain. J’ai sous les yeux une fort bonne dissertation sur l’existence de Dieu par le cardinal de La Luzerne. Il s’appuie sur la première, la seconde et la quatrième preuves. Assurément elles ne sont pas sans valeur, et on s’en est souvent tenu là dans l’enseignement. Cependant la dernière a peut-être plus qu’aucune autre les caractères qu’un géomètre ou un logicien appellerait démonstratifs. Ces caractères, la troisième aussi les présente à la première vue, et on le croira aisément si j’ajoute que c’est la preuve donnée par Aristote. Toutefois je suis forcé de dire, avec tout le respect dû au père de la logique, qu’elle ne me semble pas la plus satisfaisante du monde. Elle part de cette proposition : « Tout ce qui est en mouvement est mû par autre chose, » d’où elle infère la nécessité d’un moteur immobile, et ce moteur immobile est Dieu ; mais la première proposition est une observation d’expérience qui n’a pas l’évidence d’un axiome, et l’homme entre autres porte en lui-même un principe de mouvement qui n’atteste pas actuellement un moteur étranger. C’est de l’idée de cause et de la nécessité d’une cause des causes qu’aurait pu se déduire une démonstration véritable, et l’idée de cause, malheureusement transformée en l’idée d’un moteur, perd de sa force et de son universalité. La quatrième preuve, qui de l’existence des êtres contingens tire celle d’un être nécessaire, a été surtout mise en lumière par le docteur Clarke, et il est impossible de ne pas la tenir pour valable. Cependant elle me paraît emprunter sa force, soit de l’idée d’une première cause, soit des idées de contingent et de nécessaire, soit de toutes ces idées à la fois. Elle n’est donc qu’une traduction plus ou moins heureuse de certaines lois de l’esprit humain, et cela, suivant moi, permettrait de la rattacher à la cinquième preuve, qui devrait être la première de toutes. Ce n’est pas que j’aie la moindre envie de traiter avec dédain ce bon et vieil argument qui de l’ordre du monde conclut un ordonnateur, de l’existence du monde un créateur. Quoique cette preuve ait aussi pour fondement logique le principe de causalité, elle n’en a pas moins un pouvoir spécial et un pouvoir légitime sur l’esprit humain, et je ne doute pas qu’elle ne soit l’origine de celle, par exemple, que j’ai nommée la seconde. Le consentement universel ou la généralité d’une croyance religieuse dans l’humanité est en fait l’expression naturelle, souvent confuse, souvent figurée, de la