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Piémont du naufrage, s’il devait y avoir un naufrage ; en se rangeant sous le drapeau constitutionnel, elle ne voulait pas livrer la monarchie aux passions républicaines qui fermentaient déjà. Elle se disciplinait sous une inspiration de résistance et de préservation. L’opinion conservatrice trouvait son expression dans un ministère formé au lendemain de la suspension d’armes, le 19 août 1848, à la place du cabinet Casati-Gioberti, qui n’avait vécu que quelques jours. Ce ministère réunissait quelques-uns des noms les plus éminens du libéralisme modéré : le marquis Alfieri-Sostegno, le comte de Revel, M. Pinelli, M. Boncompagni, le chevalier de Santa-Rosa, le général Dabormida, le général de Perron, vieux soldat émigré de 1821 qui avait servi en France et venait de rentrer dans son pays. La politique du nouveau cabinet pouvait se résumer en peu de mots : accepter l’armistice Salasco, négocier avec le concours de l’Angleterre et de la France, maintenir le plus possible l’annexion de la Lombardie sans y subordonner l’intérêt piémontais, réorganiser l’armée, et, à toute extrémité, choisir son heure pour combattre, si la lutte redevenait inévitable, tel était le système du ministère Revel-Pinelli.

Le parti démocratique, grossi de quelques conservateurs dissidens, dénonçait avec la plus extrême violence l’armistice Salasco. Dans toute pensée de paix, il voyait la négation de l’autonomie italienne et du fait accompli de l’union lombardo-piémontaise. Pour l’opinion démocratique, il était visible que les états sardes n’existaient plus qu’à titre de province du royaume de la Haute-Italie et qu’il n’y avait qu’à recommencer immédiatement la lutte, dût le Piémont s’abîmer et périr lui-même dans un nouveau désastre. À tout considérer, on pourrait dire qu’il y avait en présence, — au point de vue des questions de nationalité, un parti piémontais et un parti italien, — au point de vue de la politique intérieure, un parti monarchique constitutionnel et un parti qui poussait le libéralisme jusqu’à l’extrême frontière des idées républicaines. De cette opposition tranchée de principes et de tendances devaient naître les manières les plus différentes d’envisager la situation dans l’ensemble de ses élémens, de ses nécessités et de ses périls.

Un des premiers élémens de cette situation nouvelle, c’est l’intervention étrangère sous la forme d’une médiation de l’Angleterre et de la France. Quelle était l’origine et quelles étaient les bases de cette médiation, acceptée par le cabinet piémontais dès son entrée au pouvoir[1] ? Elle était la réponse à une demande de secours armé adressée à la France, elle prenait pour base une proposition faite le

  1. En fait, la médiation anglo-française était acceptée par le gouvernement sarde avant la constitution définitive du nouveau ministère, qui est du 19 août. L’acceptation d’un acte signé le 15 août par M. de Revel à l’insu du cabinet Casati-Gioberti, qui existait encore et n’approuvait pas l’intervention sous cette forme. Cette anomalie s’explique par l’état de dislocation du cabinet Casati et par la nécessité de pourvoir d’urgence à la situation. M. de Revel, ministre des finances ou cabinet qui se préparait, en prit la responsabilité et risqua sa tête, comme il l’a avoué depuis.