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aïeux, l’une des vertus des nations primitives, n’y fait pas faute non plus. Il y a çà et là des invocations aux ancêtres divins (pitris) qualifiés d’ancêtres des dieux, et dans lesquels on peut voir les patriarches qui donnèrent le jour aux tribus aryennes longtemps avant leur établissement dans l’Inde. À l’appui de cette hypothèse, nous citerons ce passage d’un hymne au Soma (breuvage sacré) : « Les pitris, gardiens des hommes, l’ont reçu comme un nourrisson et ont développé la merveilleuse magie dont il est l’auteur. » Dans un autre hymne consacré à ces personnages vénérés, le poète évoque des noms mystérieux qui rappellent d’anciens sages, d’anciens prêtres dont les familles se sont perpétuées, et qui apparaissent dans les ténèbres de l’histoire comme les instituteurs des rites religieux. Où vivaient-ils ? quelles furent leurs actions ? La tradition n’en dit rien ; seulement leurs enseignemens ont survécu, et ce jeune peuple, trop simple pour être oublieux ou ingrat, se reporte vers eux par la pensée. En attendant qu’il naisse des héros, tout le respect des Aryens se porte sur ces saints des âges passés que la légende placera un jour dans le ciel comme fils de Brahma et seigneurs des créatures.

L’hymne au Soma nous montre les pitris recevant cette liqueur comme un nourrisson. On appelait Soma le jus de l’asclépiade que l’on avait mêlé et fait fermenter avec du lait, de l’orge et d’autres grains. Ce breuvage réjouissait les dieux et leur causait même une douce ivresse ; à plus forte raison devait-il produire ce double effet sur les hommes, auxquels il donnait, s’il faut en croire les poètes, la vie par excellence, la santé, la force pour résister à l’ennemi, et enfin l’immortalité ou plutôt le paradis après leur mort. Le Soma est donc d’abord une liqueur fermentée, un breuvage tonique et enivrant auquel les bardes antiques adressent des hymnes par centaines. Plus tard, il devient une divinité ; il est identifié avec Indou, la lune, le dieu tutélaire des Aryens. Le sage Gotama invoque le Soma par des stances magnifiques, dont voici quelques lignes :


« Tu nous conduis dans la meilleure des voies ; sous ta direction, ô dieu appelé Indou, nos pères pieux et sages ont obtenu la faveur des dieux. — Soma, saint dans les choses saintes, fort dans les choses fortes, généreux dans les choses généreuses, abondant dans les choses abondantes, tu es opulent, tu es grand, tu es le précepteur des hommes !… »


Toujours le souvenir des aïeux, le respect de la tradition apportée d’un autre pays ; toujours la pensée que les dieux conduisent les Aryens, peuple choisi, nation d’élite, à la conquête d’une patrie nouvelle ! Ce sentiment d’une mission providentielle confiée aux tribus émigrantes est l’un des traits les plus frappans de la poésie védique. Il semble que cette conviction toujours présente à l’esprit des Aryens se réveille plus vive encore quand ils chantent le Soma, comme si ce