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faillirent s’abîmer ; mais elle consolida l’alliance des Huns fédérés avec le gouvernement romain. Elle eut aussi pour conséquence d’élargir la barrière que le changement de vie ou de condition politique avait mise entre les tribus sédentaires et les tribus nomades, et de rendre ces deux fractions de la même race de plus en plus étrangères l’une à l’autre. C’est en effet de ce moment que les colonies hunniques de Pannonie et de Mésie, libres de tout empêchement extérieur, marchent d’une allure plus franche vers la civilisation ou du moins vers cette imitation des habitudes romaines qui constituait le premier degré de la romanité. Le progrès peut se suivre de loin en loin dans l’histoire à des indices assurés. Cependant elles ne perdent que lentement leur individualité de race, et au bout d’un siècle on les reconnaissait parfaitement pour des populations hunniques au costume, au langage, à certaines institutions maintenues soigneusement. Elles étaient gouvernées par des chefs nationaux qui prenaient le nom de rois chez les tribus les plus importantes, et ces rois, subordonnés aux magistrats romains dans les choses générales de la politique et de la guerre, étaient ordinairement agréés, quelquefois imposés par l’empereur. Quoique les tribus eussent généralement conservé leurs noms indigènes, quelques groupes portaient des dénominations latines qui leur venaient soit de leur destination spéciale, soit des circonstances topographiques de leurs cantonnemens. De ce nombre étaient les Fossaticii, préposés, comme l’indiquait leur nom, à la garde d’une partie du fossatum, fossé ou rempart de défense, et les Sacromonticii, campés suivant toute apparence sur une hauteur appelée Mont-Sacré ; telle était encore la colonie du Château de Mars, qui cultivait les environs de cette forteresse. C’est à Jornandès que nous devons la plupart de ces détails ; ce qui veut dire que sous un certain point de vue leur autorité n’est pas contestable. Jornandès était né en Mésie, chez le petit peuple des Mésogoths. Son aïeul, Péria, avait été notaire ou secrétaire du roi alain Candax, le vassal et le compagnon d’Hernakh, et son père, Alanowamuthis, exerçait probablement la même profession, qui consistait à rédiger dans les divers idiomes parlés sur le Danube la correspondance des rois barbares ; lui-même aussi, bien qu’illettré (c’est lui qui nous le dit), suivit la carrière de son aïeul avant d’entrer dans les ordres sacrés[1]. De telles fonctions donnaient une connaissance parfaite de toutes les affaires intérieures et extérieures de ces petits rois. Quand donc Jornandès nous entretient des Huns pannoniens et mésiens, c’est plus qu’un historien contemporain, plus qu’un témoin

  1. « Cujus Candacis Alanovamuthis patris mei genitor Peria, id est mens avus, notarius quousque Candax ipse viveret, fuit…. Ego item, quamvis agrammatus, Jornandès, ante conversionem meam notarius fui. » (Jornand, Reb. Get., 17.)