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romains de la frontière. Tandis qu’il opposait à leurs soupçons cette preuve de ses intentions pacifiques, il trouvait le moyen de passer le Danube sur divers points, et bientôt son innombrable cavalerie fut réunie tout entière sur la rive droite.

La Basse-Mésie et les deux Dacies devinrent le théâtre de ses ravages. La région voisine de l’Hémus servait alors de repaire à des bandes de brigands qui, des vallées où ils étaient retranchés, fondaient sur le plat pays pour le mettre à contribution. C’étaient des Goths qui avaient secoué l’obéissance de leurs rois pour vivre en pleine indépendance aux dépens de tout le monde : bien aguerris d’ailleurs et bien armés, ils avaient plus d’une fois tenu tête aux troupes envoyées pour les réduire. Denghizikh les appela à lui, et sitôt qu’ils eurent réuni leur solide infanterie à la cavalerie des Huns, la guerre prit des proportions inquiétantes pour les Romains. Trois armées furent mises en campagne sous la conduite de plusieurs généraux de renom, parmi lesquels on comptait Anagaste et le célèbre Goth Aspar, à qui Léon devait le trône impérial. Leurs instructions étaient d’éviter tout engagement en rase campagne, de harasser l’ennemi par des marches et des contre-marches, surtout de l’attirer dans des cantons montueux où sa nombreuse cavalerie lui deviendrait plus nuisible qu’utile. C’était le système employé par Anthémius contre les bandes d’Hormidac l’année précédente, et le meilleur pour anéantir ces multitudes braves, mais imprévoyantes, qui ne savaient ni assurer leurs subsistances, ni se retirer avec ordre après une défaite. Amené de proche en proche au débouché d’un vallon abrupt et sans issue, Denghizikh, qui ne connaissait point le pays, alla s’y enfermer comme dans un piège, ne laissant plus aux Romains que la peine de l’y retenir prisonnier. Les légions, campées sans péril à l’entrée du défilé, regardaient les Huns s’agiter inutilement et se consumer sous leurs yeux, car tout leur manquait, vivres et fourrages, et l’escarpement des roches qui les entouraient leur enlevait toute chance de sortir jamais de ce tombeau. Denghizikh se sentit perdu, et son obstination superbe l’abandonna. Il envoya au camp romain des députés porteurs de ces humbles paroles : « que les Huns se soumettaient à tout ce qu’on exigerait d’eux, pourvu qu’on leur accordât des terres. » Les généraux romains ayant répondu qu’ils en référeraient à l’empereur, les députés se récrièrent[1] : « Nous ne pouvons pas attendre, dirent-ils avec l’accent du désespoir ; il faut que nous mangions, ou que nous vous vendions cher nos vies tandis qu’il nous reste un peu de sang. » Les généraux tinrent conseil, et à l’issue de la délibération on promit aux Huns de leur fournir des vivres jusqu’à

  1. « Romani responderunt se ad imperatorem eorum postulata delaturos. At scythæ, propeter famem quæ eos premebat, transigere velle dixerunt, neque longiores moras ferre possee. » (Prisc., Hist. 20)