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surnommée la Rivière-Noire[1], et Vidémir plaça son cantonnement entre les deux autres. Dans ce partage, Valémir, le plus puissant des trois rois et le représentant de la nation, fut chargé de garder la frontière orientale, qui touchait à l’empire romain. L’histoire nous dit que les Ostrogoths demandèrent la concession de ces territoires à l’empereur Marcien, qui l’accorda bénévolement ; il est beaucoup plus probable que le consentement de l’empereur ne fit que suivre la prise de possession. Quoi qu’il en soit, ils reçurent du gouvernement impérial le titre d’hôtes et de fédérés, se soumettant de leur côté à toutes les obligations que ce titre imposait : par exemple, celles de fournir des contingens militaires à l’empire, de ne faire ni la paix ni la guerre sans son agrément, de n’avoir d’amis que ses amis, d’ennemis que ses ennemis, de respecter son territoire et ses villes situées dans l’intérieur des cantonnemens, car les conventions de cette nature réservaient toujours les villes, surtout les places fortes qui restaient au pouvoir des garnisons romaines. Le peuple barbare, ainsi admis sur les domaines de l’empire, y demeurait à titre précaire et par droit d’hospitalité, comme s’exprimait la formule ; c’était un prêt que lui faisait le gouvernement romain et nullement un abandon. Tandis que les Ostrogoths s’établissaient en Pannonie, les autres nations germaniques qui, ayant aussi pris part à la guerre, se trouvaient pareillement déplacées, les Hérules, les Ruges, les Suèves, remontèrent le Danube et se répandirent à droite du fleuve, dans les Alpes Noriques et Juliennes, jusqu’aux frontières de l’Italie. À l’aspect de ces mouvemens, les Lombards quittèrent le pays qu’ils occupaient au nord de l’Elbe, et entrèrent dans la Bohême, menaçant de là la vallée du Danube, comme les autres menaçaient celle de l’Adige. Ainsi les futurs conquérans de l’Italie venaient s’échelonner en face des Alpes, les Ruges formant l’avant-garde et les Lombards l’arrière-garde.

Pendant que la Germanie faisait un pas vers le midi de l’Europe, les hordes dispersées des Huns se ralliaient dans les plaines qui bordent le Danube au nord et la Mer-Noire à l’ouest. Ces plaines, ainsi que les steppes du Dnieper et du Don, étaient considérées par les autres nations comme le domicile naturel, le patrimoine des Huns, depuis près d’un siècle que leurs ancêtres en avaient chassé les Goths. Eux-mêmes le prétendaient bien ainsi, et donnaient au cours inférieur du Danube le nom d’Hunnivar[2], c’est-à-dire rempart ou

  1. « Valamir contra Scarniungam et Aquam Nigram fluvios manebat. » Jornand., R. Get.)
  2. Var signifie encore en hongrois citadelle, propugnaculum : Temesvar, citadelle sur le Temes ; Hungvar, fort qui défend la rivière de Hung, etc. Ce mot, que nous trouvons dans Jornandès, est le seul qui nous soit resté de la langue des Huns. « Quos tamen ille, quamvis cum paucis, excepit ; diùque fatigatos ita prostravit, ut yix pars aliqua hostium remaneret, quæ in fugam versa, eas partes Scythiæ peteret, quas Danubii amnis fluenta prætermeant, quæ lingua sua Hunnivar appellant. » (De Reb. Gel., 17.)