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desquels fut Ellac, qui ne tomba qu’après avoir jonché la terre de cadavres ennemis. « Ellac périt si virilement, dit encore Jornandès dans son style âpre, mais énergique, qu’Attila vivant aurait envié une fin si glorieuse[1]. » Ses frères alors, prenant la fuite, repassèrent le Danube, et, serrés de près par les Gépides, gagnèrent les bouches du fleuve et les plaines pontiques, où ils se retranchèrent. Ainsi fut brisé l’empire des Huns, auquel on put croire un instant que L’univers obéirait. Ardaric, s’emparant des plaines de la Theïss, alla planter sa tente au cœur de la Hunnie, dans la résidence d’Attila. Le roi des Gépides avait en effet plus de titres que les autres aux dépouilles opimes de ses anciens maîtres : il avait commencé la guerre et décidé la victoire.

Le Danube, dans son cours de près de cinq cents lieues, se partage en plusieurs bassins formés par les étranglemens de son lit, à travers lequel les Alpes Noriques et Juliennes, les monts Sudètes, les Carpathes et l’Hémus projettent successivement leurs rameaux. Ces bassins, différens de niveau, sont comme autant de gradins par lesquels les eaux de la vallée descendent pour se verser dans la Mer-Noire. Chacun d’eux, empreint d’une physionomie propre, a sa ceinture de montagnes, ses limites tracées par des rivières rapides ou profondes, souvent même sa population particulière, en un mot ce qui constitue une contrée distincte. C’est dans la région des deux derniers bassins que vont se dérouler les événemens principaux de cette histoire. Au sortir des gorges de Gran, produites par le rapprochement des Carpathes orientales et des Alpes Styriennes, le fleuve, parvenu à la moitié de son cours, semble s’arrêter, revenir sur lui-même, et laisser reposer ses eaux, avant de les précipiter en cataractes dans le dernier de ses défilés. Il coule alors entre deux plaines que l’on signale parmi les plus importantes de l’Europe : à droite, celle de Pannonie, allongée de l’est à l’ouest et bornée par les Alpes Noriques, Juliennes et un rameau des Alpes Dinariques ; à gauche, celle de Dacie, que la chaîne demi-circulaire des Carpathes enveloppe jusqu’à ses bords. La Pannonie, maîtresse de la Drave et de la Save, menace l’Italie et la Grèce septentrionale, tandis que la Dacie, flanquée de deux grands massifs de montagnes, qui se dressent comme deux citadelles à ses extrémités, domine au nord et à l’est les vastes espaces qu’occupait alors et qu’occupe encore aujourd’hui la race slave, dont ils semblent être le patrimoine. Quand le fleuve a franchi ses cataractes, où il quittait chez les Grecs le nom de Danube pour prendre celui d’Ister, il se répand à gauche dans des

  1. « Nam post multas hostium cædes, sic viriliter eum constat perumtum, ut tam gloriosum superstes pater optasset interritum. » (Ubi supr.)