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son âme, songeait peu à ce rôle d’un prince libéral, même pour l’avenir ; il était trop naturellement dominateur, trop conquérant, c’est sa grandeur et sa faiblesse. Faiblesse ou grandeur, c’est à ce titre qu’il est entré dans l’histoire, laissant après lui non un système à suivre, mais des exemples à méditer.

N’en est-il point ainsi de tous ces hommes extraordinaires qui ont vu le jour en des siècles différens et qui ont été tourmentés de cette idée de domination, de monarchie universelle ? Tous y ont échoué. Napoléon de notre temps comme au xvie siècle Charles-Quint, qui est en ce moment même l’objet d’une des plus remarquables études historiques de M. Mignet. Chose étrange, qui montre combien la lumière est lente à se faire sur certaines époques et sur certains hommes ! ce n’est que depuis peu qu’on est parvenu à éclaircir complètement un des plus curieux épisodes de la vie de Charles-Quint, sa retraite dans le monastère de Yuste. De nouveaux et précieux documens publiés déjà ou encore inédits ont pu être interrogés. De ce nombre est un manuscrit de D. Tomas Gonzalez, qui est passé des archives de Simancas dans nos archives. Une autre relation manuscrite d’un moine hiéronymite a été découverte il y a quelques années seulement. M. Gachard, achiviste général de Belgique, publiait récemment une collection de dépêches de Charles-Quint et de pièces relatives à sa retraite et à sa mort au monastère de Yuste. Des correspondances du même prince ont été mises au jour à Leipzig, à Vienne, à Madrid. Ainsi de la poussière des documens se dégage la vérité sur cette grande figure du xvie siècle, sur cet empereur qui nourrit l’ambition de la monarchie universelle pour aller mourir dans un cloître.

Portant dans ses veines le sang de quatre familles souveraines, celles d’Aragon, de Castille, d’Autriche et de Bourgogne, — roi héréditaire d’Espagne, empereur élu d’Allemagne, maître d’une portion de l’Italie et des Pays-Bas, ayant à lutter constamment contre la France ou à repousser les Turcs en Hongrie et presque toujours heureux dans ses entreprises, étendant sa domination jusqu’au Nouveau-Monde qui venait d’être découvert, Charles-Quint pouvait certes passer pour le premier souverain de la chrétienté. C’est pourtant à ce moment que, dans la plénitude de la puissance, il se dépouillait successivement de toutes ses couronnes pour aller se retirer et mourir bientôt dans un petit monastère de l’Estramadure, à Yuste. C’est cette dernière période de la vie de Charles-Quint que raconte M. Mignet, non sans revenir naturellement sur les faits les plus saillans de cette grande existence. Le récit de M. Mignet, abondant et nourri, est instructif comme l’histoire, attachant comme toute étude qui sait reproduire toutes les particularités intimes d’une destinée exceptionnelle qui s’achève. L’auteur a réussi à tracer un portrait plein de force et de vie qui se détache sur le fond du xvie siècle. Que faut-il conclure cependant de l’histoire de cet empereur qui allait mourir à Yuste ? C’est que les grands hommes coûtent souvent cher à un pays. Charles-Quint est en réalité le premier auteur de la décadence de l’Espagne. Il s’est servi de ce peuple héroïque comme d’un instrument pour l’accomplissement de ses desseins de domination. Le mouvement de la civilisation espagnole a été proprement faussé à cet instant. Charles-Quint a été l’inaugurateur de cette politique qui a fait dire ce mot singulier et juste : « La maison d’Autriche est une parenthèse dans l’histoire d’Espagne. » Seulement, si l’on nous permet de continuer la figure, la parenthèse a été un peu longue, et il