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pour moi, ni n’en veux disposer. Je ne veux plus me mêler des affaires de ce pays que pour y vivre en paix et rendre mon armée disponible. » Cet homme qui est entré en victorieux dans toutes les capitales de l’Europe, on le voit, quelques années après, donnant précipitamment des ordres pour couvrir sa frontière, et réduit à se défendre sur le territoire même de la France envahie, comme un lion assailli et cerné de toutes parts.

Tel est le tableau dramatique des faits, éclairé par une multitude de détails saisissans. Et ici encore, dans cette dernière campagne de 1814, recommence ce drame intime, personnel, dont la correspondance entre l’empereur et son frère offre tant de traces. Seulement, sur ce nouveau terrain, ce n’est plus à Joseph désormais qu’appartient un certain avantage moral, comme lorsqu’il donnait des conseils de modération à l’empereur dans l’enivrement de sa puissance. Joseph en parle à son aise, quand, au milieu des héroïques extrémités de la campagne de France, il presse son frère, qui se prodigue sur les champs de bataille, de renoncer « à un caractère factice, à de grands efforts journaliers, » de faire succéder « le grand roi à l’homme extraordinaire, » quand il demande à Napoléon de faire la paix à tout prix. L’empereur lui répond à peu près : — Je n’ai que faire de vos sermons, je n’ai pas besoin d’être prêché, si la paix était possible. — Joseph semblait croire que le règne de Napoléon et de sa maison était compatible avec toutes les conditions de paix, et c’était là l’illusion. Que faut-il conclure de ces oppositions de caractères ? C’est que Napoléon était une de ces natures extraordinaires destinées à tenter l’impossible, faites pour être à la hauteur de toutes les adversités, mais qui ne peuvent en aucun cas se plier à des conditions vulgaires. Joseph était au contraire une nature honnête, incapable de céder à l’enivrement de la puissance, et peu faite aussi pour se mesurer avec ces extrémités de la fortune contre lesquelles se débattait son frère. Tel il se révèle dans ses lettres.

Ce n’est pas seulement sous ce rapport historique que la Correspondance du roi Joseph, continuée jusqu’en 1840, offre un intérêt réel ; on peut y voir en quelque sorte le moment où à la politique de Napoléon vient s’ajouter une interprétation toute démocratique. Joseph était de bonne foi sans doute quand il faisait sortir le libéralisme du système de son frère ; Napoléon lui-même a pu se faire des illusions rétrospectives. C’est un point de vue cependant qu’il ne faudrait point exagérer, sous peine d’ajouter ses propres idées aux idées de l’empereur. Le système de Napoléon, il ressort de ses actes, de ses pratiques de gouvernement, de ses paroles même. Encore aux derniers momens de son règne, au milieu des effrayantes complications de 1814, qu’écrivait l’empereur à son frère au sujet de quelque tendance à rehausser la garde nationale de Paris ? « La garde nationale de Paris fait partie du peuple de France, et tant que je vivrai, je serai le maître partout en France. Votre caractère et le mien sont opposés. Vous aimez à cajoler les gens et à obéir à leurs idées, moi j’aime qu’on me plaise et qu’on obéisse aux miennes. Aujourd’hui comme à Austerlitz, je suis le maître… Je suppose qu’on fait une différence du temps de Lafayette, où le peuple était souverain, avec celui-ci, où c’est moi qui le suis. » — La démocratie ! soit, pourrait-on dire en interprétant le système de Napoléon, mais à la condition qu’elle parle et qu’elle agisse par l’empereur, ce qui n’est peut-être pas aussi entièrement libéral que le pensait Joseph. Au fond, on peut croire que l’empereur, dans l’intimité de