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de Milan s’était engagé à la nourrir. Malheureusement les vivres n’étaient pas toujours là. Il venait même un jour où le commissaire lombard quittait le camp et se faisait devancer par les approvisionnemens. « Depuis trois mois, disait un officier de ses soldats, ils n’ont pas quitté leurs vêtemens et ont toujours dormi sur la terre, n’ayant pour toit que la voûte des cieux. » Caractère original que celui de cette armée piémontaise combattant pour une cause que toutes les passions s’acharnaient à ruiner ! Elle avait les mâles qualités de l’esprit militaire et nulle jactance ; il arrivait un jour à un officier de se prendre de querelle avec un Lombard, qui, racontant un petit fait d’armes à un paysan, le transformait en une bataille gigantesque suivie d’une victoire non moins gigantesque. Cette armée n’avait rien de révolutionnaire, elle avait porté dans les camps les mœurs simples et même religieuses des vallées piémontaises. Un pauvre soldat était tué, et que trouvait-on sur lui ? Un livre de prières où étaient écrits ces mots à la première page : « Mon Dieu, veillez sur mes parens et protégez notre armée !» Un de ceux qui ont fait cette guerre, l’auteur d’un Journal d’vu officier de la brigade de. Savoie, raconte qu’étant un soir de garde à la Madonna del Monte, entre Sona et Somma-Campagna, il entra dans une église ; cette église était remplie de soldats groupés autour d’une statue de la Vierge. « Ces braves, dit M. Ferrero, qui affrontaient l’ennemi avec tant de courage sur le champ de bataille, répétaient en chœur les litanies de la Vierge. Deux énormes bouquets cueillis dans les champs et quelques cierges allumés ornaient l’autel… Lorsque les prières furent terminées, un soldat que j’avais souvent remarqué pour sa bravoure me dit : Mon lieutenant, je viens de prier pour ma famille, j’ai cinq enfans et une mère aveugle !… » Dans le fond, cette armée se battait pour la grandeur de son pays et de son roi : voilà son crime aux yeux de M. Mazzini !

Je sais bien que les libéraux piémontais coloraient d’un prétexte particulier l’étrange système de dénigrement dont ils poursuivaient leur armée. C’est aux généraux qu’ils faisaient la guerre, à leur impéritie, à leur antipathie présumée pour la cause de l’indépendance italienne. La vérité, le général Franzini, ministre de la guerre, l’avouait avec une noble modestie : c’est que ni lui ni aucun de ses compagnons d’armes n’avaient jamais fait une grande guerre, et qu’on ne supplia point à l’expérience militaire en chantant des hymnes patriotiques et en criant : « Mort aux barbares ! » Quelques mois plus tard, Charles-Albert, qui se plaisait à entendre tout le monde, faisait venir un jour M. Brofferio. Le béros de la montagne piémontaise ne manquait pas de développer ses plans démocratiques, et il y ajoutait une sortie contre les généraux rétrogrades et absolutistes.