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des deux plus grands états de l’Italie qui nourrissaient peut-être des ambitions égales. Depuis longtemps, leurs rapports étaient froids, surtout depuis le second mariage du roi Ferdinand, dont la première femme était une sœur de Charles-Albert : on conçoit que l’offre de la couronne de Sicile, faite par les Siciliens insurgés au duc de Gènes, — offre repoussée au surplus, — n’était point de nature à resserrer les liens entre les deux rois.

La Toscane elle-même avait ses défiances et se refroidissait sensiblement. Il s’était élevé une question délicate au sujet des territoires de la Lunigiana et de la Garfagnana, également revendiqués par les gouvernemens de Florence et de Turin. Le royaume de la Haute-Italie effrayait les Toscans, qui commençaient à craindre d’être absorbés. À Florence comme à Naples, comme dans les États romains, on faisait la guerre à l’albertisme, mot nouveau et transparent qui servait à caractériser l’ambition prêtée au roi piémontais de confondre l’Italie tout entière dans une seule monarchie dont il serait le chef. Et ces défiances, les princes n’étaient point les seuls à les ressentir. À Naples, le ministre libéral Bozzelli les exprimait ouvertement. À Florence, dans la chambre des députés, un banc sur lequel siégeaient quelques hommes partisans de la guerre de l’indépendance, MM. Ricasoli, Salvagnoli, Lambruschini, — ce banc était appelé avec l’exagération habituelle le banc des parricides, comme pour faire peser sur eux le soupçon de sacrifier leur pays[1]. Le royaume de la Haute-Italie avant d’exister trouvait un ennemi dans l’esprit d’indépendance locale poussé jusqu’à la plus extrême jalousie.

Le royaume italien pour lequel se battait l’armée piémontaise avait un autre ennemi plus redoutable encore et aposté un peu partout dans la Lombardie elle-même, la plus intéressée au succès de la guerre : c’était la république sous toutes les formes, — sous la forme fédéraliste et sous la forme unitaire. La république s’était glissée jusque dans le gouvernement provisoire formé à Milan après les journées de mars. Elle n’y régnait pas, mais elle neutralisait la tendance monarchique favorable à une annexion immédiate de la Lombardie au Piémont. De là un système perpétuel de concessions aboutissant à la plus triste impuissance. De là l’expédient imaginé dès le premier instant d’ajourner toute question d’organisation politique jusqu’après la victoire de l’indépendance, — a causa vinta, ainsi qu’on le disait, comme si la question de l’indépendance, telle qu’elle se présentait, et la question de forme politique n’étaient point indivisibles.

M. Mazzini arrivait dans cet intervalle à Milan, et devenait le centre, l’âme, le chef naturel de l’agitation milanaise. Spectacle étrange ! en ce moment même, Gioberti, rentré dans son pays après un long

  1. Voir les Documenti della guerra santa d’Italia, par M. G. Massari, Capolago, 1851.