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roi de Portugal que nous reproduisons plus loin, et on se convaincra que l’esprit de tolérance qui distingua si éminemment Akbăr s’alliait chez lui au sentiment le plus net et le plus élevé de ses devoirs comme souverain. S’il fit intervenir son autorité pour modifier quelques-unes des institutions des Hindous, ou, pour mieux dire, de leurs coutumes superstitieuses, ce fut exclusivement dans un intérêt d’humanité. C’est ainsi qu’il ne voulut pas souffrir qu’une veuve fût brûlée, contre son gré, avec le corps de son mari[1], qu’il permit aux veuves de se remarier, qu’il défendit qu’on eût recours aux jugemens de Dieu, que les filles fussent mariées avant l’âge de puberté, qu’on égorgeât des animaux pour les sacrifices, etc. En même temps il se garda bien de chercher à discréditer, comme il l’avait fait pour le mahométisme, les doctrines fondamentales de la religion des Védas et les principales cérémonies ou les habitudes innocentes liées, dans le système hindou, à l’accomplissement des devoirs domestiques. Indépendamment des motifs politiques qui l’avaient déterminé à se montrer ainsi tolérant à l’égard des Hindous, il est à présumer qu’il avait été frappé de la vitalité inhérente à cette grande organisation sociale dont les profondes racines plongeaient dans l’antiquité la plus reculée. Et à ce sujet nous ne pouvons nous empêcher de remarquer le phénomène particulier que présente la société hindoue envisagée au point de vue de ses croyances et de ses habitudes religieuses. Des principales religions qui florissaient autrefois dans l’Asie occidentale, cinq ont disparu, ont cessé d’être dominantes, ou enfin n’existent plus qu’à l’état sporadique : ce sont le sabéisme, le culte hébraïque, le paganisme proprement dit, le culte de Zărdhăst (Zoroastre), et le christianisme. Ces différens systèmes de croyances religieuses ont été remplacés, comme moyen de gouvernement, par une religion, comparativement nouvelle : des côtes de la Méditerranée aux rives du Sirr (le Iaxartès des anciens), la seule foi nationale reconnue est celle de Mahomet. Or, aucun des pays compris dans cet immense espace ne repoussa énergiquement les premières invasions des musulmans et leurs tentatives de prosélytisme. L’Hindoustan seul, envahi par eux à son tour, a su conserver son ancienne religion. Sept cents ans de guerres ou de persécutions, ou de tentatives de conversions par l’appât des honneurs et des ri(liesses, n’ont pu entamer la croyance hindoue, depuis la première invasion mahométane par Mahmoud, en 1001, jusqu’à la dernière par Ahmăd-Shâh en 1761. Un siècle d’essais tentés par la domination chrétienne avec les

  1. Ayant appris que le radja de Djodpour voulait obliger la veuve de ton fils à se faire satti, c’est-à-dire à se sacrifier sur le bûcher où allait être consumé le corps de son mari, Akbăr s’élança à cheval, partit ventre à terre, et ne s’arrêta qu’au lieu même où l’on venait d’entraîner la victime, qu’il arracha à la mort.