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Cette disposition, si honorable pour Akbăr, est spécialement rappelée dans le Dabistân. À côté de plusieurs prescriptions d’un caractère également recommandable, on est affligé autant que surpris de trouver une injonction au koutwâl de faire couper la tête de quiconque aura bu dans la même coupe que le bourreau, — ou le doigt seulement s’il a mangé des alimens cuits pour cet exécuteur public ! On ne peut expliquer cet écart tout à fait inattendu des principes de justice et des habitudes essentiellement humaines d’Akbăr que par l’horreur que lui inspiraient les professions liées de près ou de loin à la destruction des créatures de Dieu. Aussi, dans ces mêmes instructions au koutwâl, lui est-il expressément recommandé de veiller à ce que les bouchers, ceux qui lavent les corps morts ou se livrent à d’autres occupations impures, habitent dans des quartiers éloignés des demeures des autres hommes, qui devaient, ajoutent les instructions, éviter la société de ces misérables à l’esprit borné et au cœur endurci. — Bien que les vice-rois eussent le pouvoir de condamner à la peine capitale, il leur était enjoint de n’avoir recours à l’application de cette peine que dans les cas de flagrant délit, en cas de sédition par exemple ; hors de ces circonstances exceptionnelles, ils ne devaient ordonner l’exécution du coupable qu’après confirmation de la sentence par l’empereur[1].

L’ensemble des instructions données aux principaux officiers du gouvernement dans les provinces est, nous le répétons, marqué au coin de la prévoyance, de la sagesse, de l’humanité et de la justice. Quelques habitudes de despotisme s’y montrent encore çà et là ; quelques remarques frivoles ou vaniteuses, quelques préjugés puérils contrastent avec l’élévation ordinaire de la pensée et la solidité du jugement ; mais le système gouvernemental dont elles sont l’expression garantissait évidemment à cette singulière agglomération de peuples placés par le droit divin ou la conquête sous le sceptre d’Akbăr les conditions de liberté, de bien-être et de progrès compatibles avec leurs croyances, leurs habitudes et le degré de civilisation générale auquel ils étaient parvenus.


III. — INSTITUTIONS RELIGIEUSES DONNÉES PAR AKBĂR A l’HINDOUSTAN.

Au milieu des agitations prodigieuses dont l’Inde fut le théâtre sous l’empereur Akbăr, pendant ce règne d’un demi-siècle, on éprouve une vive satisfaction à démêler une pensée persévérante d’humanité, d’organisation et de paix. Il est consolant de reconnaître

  1. Plusieurs historiens et voyageurs assurent même qu’aucune exécution capitale ne devait avoir lieu avant trois injonctions positives de la part de l’empereur.