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soixante-neuf ans, n’est qu’une version maigre et incomplète à tous égards, plutôt un extrait qu’une traduction, et encore cet extrait fourmille-t-il d’omissions importantes, d’erreurs et de négligences palpables. Il faut convenir en même temps que la traduction d’un pareil ouvrage était une œuvre d’une extrême difficulté à l’époque où Gladwin l’a entreprise, même avec l’appui de Warren Hastings, qui en comprenait cependant toute l’importance. Ce grand homme d’état, dans la minute où en sa qualité de gouverneur général il recommande la publication de la traduction de Gladwin au patronage du conseil des Indes, s’exprime ainsi : « Cet ouvrage sera une acquisition d’autant plus précieuse pour la science européenne qu’il expose la constitution première de l’empire moghol, et que l’original a été écrit sous les yeux du fondateur de cet empire. Il aidera le jugement de la cour des directeurs sur plusieurs points importans pour les intérêts de la compagnie ; il montrera en quoi l’administration actuelle se rapproche des principes de l’ancien gouvernement indigène, principes qu’on trouvera peut-être supérieurs à ceux qu’on a fondés sur leurs ruines, et certainement d’une application beaucoup plus aisée comme étant plus familiers aux esprits des peuples de l’Inde ; il fera voir également les conséquences probables d’une déviation quelconque de ces principes. »

Dans cette même minute, Warren Hastings exprime une opinion très favorable sur le travail de Gladwin. Il n’est pas douteux qu’on doive tenir compte à Gladwin du zèle et du talent qu’il a montrés dans l’exécution de cette version, si imparfaite qu’elle ait été, ainsi que de la franchise avec laquelle il a fait allusion aux omissions aux incertitudes qu’on pourrait lui reprocher. Les temps sont changés : l’étude des langues asiatiques et de l’Hindoustan tout entier a fait de tels progrès, qu’une traduction complète de l’Akbăr-Nâmeh et de l’Ayîn-Akbăry (qui ne forment, à proprement parler, qu’un seul ouvrage) pourrait être abordée aujourd’hui avec succès en consultant les annales indiennes (celles du Radjasthân en particulier) et les auteurs mahométans dont les travaux sont entrés dans le domaine de la science historique européenne depuis un quart de siècle. Exécutée dans les conditions philologiques que nous avons indiquées, avec le concours d’un certain nombre de savans et d’artistes, ce serait une entreprise digne d’une grande nation, car ce serait à la fois faire connaître une des époques les plus intéressantes de l’histoire orientale, constater pour ainsi dire ce qui s’est passé à l’une des principales étapes de l’humanité, et éclairer peut-être d’un jour tout nouveau l’ethnographie et l’histoire naturelle de l’Inde[1].

  1. Il n’a encore été publié aucune traduction de l’Akbăr-Nâmeh. Il en existe une manuscrite, en anglais, par le lieutenant Chalmers, de l’armée de Bombay, qu’Elphinstone a pu consulter à la Société royale asiatique de Londres. Nous venons de dire ce que nous pensons de la traduction publiée de l’Ayin-Akbăry : c’est donc un travail à reprendre. Outre cette grande histoire du règne d’Akbăr, on doit à Abou’l-Fazl l’Ayar-Danish (Pierre de touche du savoir), élégante version du poème attribué à Pilpay ou Bidpay, et connu sous le titre pehlvy de Kalei-Iah-Damnah ; — Dastour-oul-’Aml , ou Règles d’administration, développement de la partie de l’Ayin-Akbăry qui traite des mœurs et des coutumes des peuples de l’Inde ; — Maktoubât ou Inshâ, recueil de dépêches publié par le neveu d’Abou’l-Fazl, Abdou-Isamăd, etc. Ces deux derniers recueils devraient être mis à contribution, et fourniraient des pièces du plus grand intérêt pour l’histoire générale du règne.