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arabes. Je travaillai avec plaisir à cette langue, parce que, comme auxiliaires, j’avais en main grammaire, dictionnaire et même livres de lecture ; mais pour l’arabe, le sanscrit, etc., j’avais à peine une grammaire et seulement quelques morceaux à lire sans dictionnaire : cela n’alla pas si bien, je ne pus me procurer d’auxiliaires. Une grammaire chinoise avec deux brochures à lire me coûtèrent même si cher, que je n’osai le dire à personne, et que je ne pensai plus à m’en procurer davantage.

« Quand j’arrivai, en 1845, comme chapelain à Thalwyl, la plus pauvre commune du pays, je laissai quelques années de côté la philologie, si pénible pour moi, surtout parce que j’avais d’ailleurs beaucoup à faire et à donner ; mais plus tard, un Unterwaldois revint d’Amérique avec une lettre de bourgeoisie américaine que dans le pays personne ne pouvait lire, parce que c’était écrit en anglais, et je dus la lui expliquer. Alors mon goût pour la philologie se réveilla, et je recommençai à m’en occuper davantage, surtout pour l’anglais, l’hébreu, le sanscrit, le chinois, mais le tout encore avec peine, faute d’auxiliaire. Ainsi mes connaissances polyglottes ne peuvent être que fragmentaires. De parler en langue étrangère, il n’est pas question, car, par exemple pour l’anglais, je n’en ai pas encore entendu prononcer un mot.

« Je suppose maintenant que vous m’excuserez auprès de votre ami, et le déciderez à ne pas me regarder du tout comme un philologue, ce qui n’eût pas été possible dans ma situation, et ne pourrait plus le devenir. Cependant dans d’autres circonstances je le fusse devenu.

« Je suis avec respect, etc.

« JACOB MATTHYS, chapelain.

« Thalwyl, le 16 juin 1854. »


Singulièrement alléché par les détails qu’on lui avait donnés sur le savant de l’Unterwald, M. de Sinner se mit lui-même en route, il y a deux mois environ, pour aller lier connaissance avec le chapelain Matthys.

Il apprit à Stanz de M. Zelger que personne dans le pays ne se doutait des connaissances du chapelain, et que, la chose fût-elle comme, elle ne réussirait guère qu’à lui valoir le dédain de son entourage. Parti de Stanz avec un enfant pour guide, M. de Sinner trouva enfin le chapelain dans sa cure, et se mit à l’examiner, livre en main, sur les langues qu’il connaissait. L’espagnol, le portugais, l’italien, le français, le grec ancien et moderne, allèrent à merveille. M. de Sinner prit ensuite un livre chinois, et bien qu’il ne connût pas cette langue, il put admirer, à l’aide d’une traduction latine, la facilité avec laquelle le chapelain lui traduisit couramment de longs passages de Confucius. Le prince-abbé du couvent des bénédictins d’Engelberg, canton d’Unterwald, homme fort instruit, ami de M. de Sinner, apprit à celui-ci qu’il avait offert d’intervenir auprès de la cour de Rome pour faire entrer le chapelain dans la Propaganda ; mais celui-ci refusa en alléguant son âge et l’impossibilité de quitter ses belles montagnes, où sa vieille mère lui sert encore aujourd’hui de gouvernante. De retour à Stanz, M. de Sinner raconte que son petit guide le prit tout à coup à part et lui dit avec un gros soupir : — Oh ! monsieur, que je voudrais donc pouvoir devenir aussi un savant comme cela ! Dans le fait, on rencontre peu de populations aussi généralement portées à l’étude des sciences et des arts que ces populations