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Quelques mois après, j’avais déjà plusieurs florins en poche. J’arrivai dans une ville sur le marché. Je vis la petite et la grande grammaire latine de Brader, avec dictionnaire y atténant, et j’achetai le tout à la fois. Dès lors je ne perdis plus un moment. Je cherchai à apprendre la grammaire ; je déclinais et conjugais un mot après l’autre tout en travaillant ; j’appris même le dictionnaire par cœur, et je me mis alors à traduire. En 1823, je revins dans mon pays, non chez mes parens, mais dans un service comme domestique, et en été j’allais sur une alpe où j’eus beaucoup de temps à consacrer au latin, ce que je fis.

« Alors commencèrent mes études. Un chapelain m’examina et trouva que je comprenais déjà quelque chose. On apprit cela à Stanz, et quelques bonnes gens me mirent à même d’y entrer à l’école latine. J’entrai dans la troisième classe. À Stanz, j’étudiai jusqu’à la fin de 1825. un jour j’entendis une dame de Stanz parler avec un monsieur à moi inconnu, dans une langue inintelligible pour moi : c’était la langue française, et aussitôt je me sentis pris du désir d’apprendre aussi cette langue. Cette dame me donna une vieille grammaire. Un monsieur de Stanz essaya bientôt de parler avec moi, et cela ne tarda pas à aller un peu. Sur la fin de 1825, j’allai, avec le secours de bonnes gens, à Soleure, où j’étudiai la rhétorique et la philosophie. Là, je trouvai chez un bouquiniste des grammaires à bon marché de quelques langues européennes, et je les achetai ; de quelques autres, j’attrapai aussi les dictionnaires. Le grec, je dus l’apprendre à l’école. Je profitai de tout. À la fin de 1827, j’allai étudier la physique à Fribourg en Suisse. Au nouvel an de 1828, je me hasardai à envoyer mes souhaits à mes bienfaiteurs à Stanz, en allemand, en français, en italien et en latin ; à la fin de 1828, j’allai en théologie à Lucerne, où je dus apprendre aussi l’hébreu, et où, moyennant trois florins, je me procurai, de la société biblique de Bâle, une Bible hébraïque. Quant au Nouveau Testament en hébreu, je l’achetai dans un encan. À la fin de 1830, j’entrai au séminaire à Coire, et je rentrai chez moi comme prêtre en 1831. La même année, je reçus la cure de Nieder-Riekenbach, où je dus rester quatorze ans, la plus grande partie de l’année, comme dans un désert abandonné, sans avoir rien à faire. Pour occuper mon temps, je m’adonnai très laborieusement à la philologie. Là, j’achetai de vieilles grammaires aux encans, ou bien je m’en fis une moi-même, comme l’espagnole ; seulement, comme j’avais peu de choses à lire, elle dut rester incomplète. Je ne pouvais pas me procurer les livres nécessaires, parce que j’avais trop peu de revenu, et que d’ailleurs j’avais trop de choses à payer. À Nieder-Riekenbach, pendant la première année de mon séjour, M. le landamman Würsch revint de l’Inde orientale avec deux enfans, et en amena un chez moi, le petit garçon, pour qu’il apprit l’allemand, car il ne parlait que malais et un peu hollandais. Le père devait avoir défendu au bambin de faire entendre un seul mot de langue malaise, car je ne l’entendis qu’une fois prononcer au soleil levant le mot mata, les deux premières syllables de matahari, qui signifie le soleil. Alors je fus pris du désir d’apprendre cette langue, et je fis venir de la Hollande une grammaire de haut et bas-malais avec dictionnaire. Quelque temps après, pour me venger de n’avoir pu tirer un mot de l’enfant du landamman, je surpris son père avec une lettre malaise qu’il comprit, et à laquelle il répondit aussi en malais. L’une et l’autre lettres étaient écrites en caractères