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il cherche à remettre un peu d’ordre au milieu d’une anarchie qui est loin d’être complètement vaincue. Un des actes les plus propres à décharger la situation de l’Espagne d’un grand poids, c’est à coup sûr la décision en vertu de laquelle la reine Christine a pu quitter Madrid, où elle était restée comme une sorte de gage entre les mains de la révolution. Par malheur, si le résultat est obtenu, la manière dont l’acte s’est accompli porte encore ce cachet d’une politique qui cherche à faire de l’ordre avec du désordre. Il a fallu négocier, parlementer avec l’émeute ; la ruse même, il faut le dire, s’en est mêlée. Le gouvernement en effet s’était fort imprudemment engagé, il y a un mois, à ne laisser sortir la reine-mère « furtivement, ni de jour ni de nuit ; et quand on est venu rappeler au cabinet ses paroles, il a répondu, avec une subtilité singulière peut-être en pareil cas, qu’il n’avait pas manqué à sa promesse, puisque la reine n’était point partie furtivement, mais au contraire en public, avec une escorte, et sous la responsabilité du gouvernement.

C’est le 28 août que Marie-Christine quittait Madrid, et aussitôt les agitateurs se réunissaient. Une députation du club de l’Union, — du club même dont le duc de la Victoire avait accepté la présidence, — se rendait chez ce dernier pour lui signifier ses protestations. Toutes les corporations populaires étaient convoquées dans un grand conseil où assistaient les ministres, et où les agitateurs madrilènes avaient eux-mêmes leurs représentans. Il est facile de pressentir les scènes de violence, les objurgations qui ont eu lieu. L’essentiel est que les ministres ont maintenu énergiquement leur résolution, et qu’ils se sont montrés prêts à livrer bataille à l’émeute qui se préparait au dehors, à employer la force contre les barricades qu’on commençait à construire. Une vigoureuse démonstration de la milice nationale a complété la victoire de cette journée. Il resterait seulement à concilier la ferme attitude du cabinet avec le langage dont il s’est servi dans ses actes officiels. Le gouvernement a cru désarmer les passions révolutionnaires, et il s’est trompé. Par une circulaire aux gouverneurs des provinces, il a donné à l’éloignement de la reine-mère le caractère d’un bannissement ; il suspend le paiement de la pension octroyée à Marie-Christine par les cortès de 1845 ; il met le séquestre sur tous ses biens. Or on se demande quel peut être le sens d’une telle mesure, en quelle qualité le ministère a pu prendre une décision semblable, à laquelle manque, comme on le pense bien, la signature de la reine Isabelle. Tout cela fait de la mesure ministérielle un acte révolutionnaire, lorsqu’elle aurait dû rester une grande mesure d’ordre public.

Au lieu de ces subterfuges peu dignes d’un gouvernement et qui n’étaient pas même faits pour trouver grâce auprès des héros des clubs, n’était-il pas plus simple de dire que dans la situation actuelle, au milieu de l’effervescence des passions, le gouvernement avait dû autoriser et protéger le départ de la reine Christine dans une pensée de pacification, afin d’écarter un grand péril ? N’est-il pas évident en effet que tout acte qui tendra à frapper la reine Christine doit rencontrer le plus invincible obstacle dans la volonté de la reine Isabelle elle-même ? Prétendre passer par-dessus cet obstacle, soit aujourd’hui, soit dans les cortès qui se réuniront prochainement, ne serait-ce point aller au-devant de la crise la plus terrible ? Quoi qu’il en soit, le départ de la reine Christine écarte pour le moment ces difficultés, et c’est sous ce rapport qu’il a une grande importance politique. La facilité même avec laquelle le gou-