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venus le jeune roi de Portugal et le prince Albert d’Angleterre. La France et la Grande-Bretagne ont assisté avec satisfaction à ces entrevues, qui proclament une fois de plus aux yeux de l’Europe l’harmonie parfaite et la cordiale entente qui unissent, depuis le commencement des affaires d’Orient, les gouvernemens comme les souverains des deux pays. Il y avait même dans cette rencontre à Boulogne un réveil de souvenirs dont l’histoire constatera un jour les étranges contrastes, car c’était là, sur cette plage de Boulogne, que Napoléon avait armé contre le rivage anglais l’expédition la plus formidable de son règne, et maintenant c’était sur la même plage le spectacle des deux puissances désormais alliées pour un but commun.

Les gouvernemens sont aujourd’hui tout à fait rassurés sur le résultat de la recolle. Ainsi qu’on l’avait annoncé, la récolte de 1854 est au-dessus de la moyenne, non-seulement en France, mais encore en Angleterre, dans le Piémont et dans les divers pays de l’Allemagne. En présence d’une guerre avec la Russie, c’est un point fort essentiel. Si l’Europe occidentale avait dû, cette année encore, se voir menacée de la disette, comment aurait-elle pourvu à ses approvisionnemens, les ports de la Russie lui étant fermés ? Quoi qu’on en ait dit, les États-Unis ne seraient pas en mesure de remplacer, pour la vente des céréales, le marché d’Odessa et de combler le déficit de la production européenne. Il faut donc considérer comme un véritable bienfait du ciel l’abondance et la bonne qualité de la dernière recolte ; les gouvernemens de France et d’Angleterre peuvent désormais poursuivre vigoureusement les opérations de la guerre sans crainte de compromettre l’alimentation des deux pays. Un mouvement de baisse assez marqué s’est déjà produit sur les principaux marchés, mais les prix ne sont pas encore descendus à leur taux normal, et, il faut le dire, la cherté relative du pain a provoqué, sur quelques points, une agitation passagère, moins vive toutefois qu’en Belgique, où les inquiétudes et le mécontentement de la partie la moins éclairée de la population se sont manifestés, à Bruxelles notamment, par des actes très regrettables.

Il est d’ailleurs facile d’expliquer pourquoi les prix du grain comme ceux du pain ne se sont pas immédiatement abaissés dans les proportions que semblait promettre le rendement plus que suffisant de la récolte. D’une part, le battage du blé n’était point partout terminé, et la mouture se trouvait arrêtée dans certaines régions par suite de la sécheresse des cours d’eau, en sorte que les farines nouvelles tardaient à paraître sur les marchés. D’autre part, les distilleries, encouragées par la hausse énorme des spiritueux et ne pouvant se procurer aussi aisément que par le passé les vins et les betteraves nécessaires à leur fabrication, ont fait à l’avance de plus grands achats de grains, ce qui a ralenti la baisse des céréales. Telles sont les causes qui ont influé, en Belgique, sur la situation du marché, et qui ont pu tromper les espérances des consommateurs ; mais cet état de choses n’est que transitoire, et les populations auront cette année le pain à bon marché.

Il n’en sera malheureusement pas de même pour le vin. Depuis l’apparition de l’oïdium, la production de la France n’a cessé de décroître. Aux effets désastreux de cette maladie sont venus se joindre, pour la récolte de 1854, des influences atmosphériques très défavorables, et l’on doute que la production atteigne cette année 25 millions d’hectolitres. De là le malaise de nos