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Il entre en effet, quant à présent, dans la politique de la Russie de ne pas se prêter aux progrès de l’Allemagne en Danemark ; mais cette puissance est bien loin de vouloir mettre fin à la lutte de l’élément scandinave et du germanisme. Son but au contraire est de l’entretenir, et s’il fallait prouver que telle est en effet la pensée du cabinet de Saint-Pétersbourg, on n’aurait qu’à étudier les résultats réels de la solution qui a été donnée sous son influence à la dernière guerre. N’est-il pas clair en effet que tout a été calculé pour entretenir les passions qui divisent le Danemark et l’Allemagne, en laissant subsister toutes les raisons de conflit qui les ont poussés à la guerre ? Croit-on que les rapports du Slesvig et du Holstein avec le reste de la monarchie soient aujourd’hui réglés de manière à satisfaire les intérêts pour lesquels on a de part et d’autre combattu ? Non-seulement il n’en est pas ainsi, et la question internationale n’a reçu qu’une solution incomplète, mais l’une des conséquences de l’arrangement imposé au Danemark a été de semer dans le pays des germes de division que nous voyons se développer dès à présent avec les caractères les plus fâcheux. Voilà les services rendus par la Russie au gouvernement danois. Si le cabinet de Saint-Pétersbourg s’était proposé de préparer de nouvelles causes de dissentiment entre le Danemark et l’Allemagne pour affaiblir l’un par l’autre et surtout pour épuiser le Danemark dans cette lutte, évidemment il n’aurait pas mieux réussi. C’est ce que le parti qui a aujourd’hui la prépondérance, sans avoir toutefois la majorité, refuse de comprendre ; mais le parti national (parti d’ailleurs essentiellement monarchique, et qui, assure-t-on a toutes les sympathies du roi) n’est pas dupe de l’intérêt trompeur que le cabinet de Saint-Pétersbourg a témoigné au Danemark dans la dernière lutte avec l’Allemagne, et comme le nombre et la raison sont de ce côté, espérons que le parti national ne tardera pas à reprendre l’influence qu’il a exercée avec honneur pendant toute la durée de la guerre.

Dans l’Europe orientale, l’esprit des populations est de même généralement bon et prévoyant. Le fâcheux exemple donné par les Grecs n’a pas été suivi, et ce qui est surtout digne de remarque, c’est que les Slaves, qui pouvaient se laisser séduire plus facilement encore que les Grecs à cause des liens de famille qui, outre les liens religieux, les rattachent à la Russie, ont gardé au contraire une attitude très froide en présence de tous les efforts que le panslavisme a faits pour les entraîner. Pour les Serbes, l’épreuve était sérieuse, car ils étaient en contact même avec l’armée russe, dont ils n’étaient guère séparés que par le corps ottoman de Kalafat. Ils pouvaient de leur frontière entendre distinctement le canon des assauts que les Russes livraient à cette place improvisée ; ils sont demeurés impassibles. L’état de guerre ayant anéanti les traités entre la Russie et la Porte, et par conséquent les stipulations sur lesquelles reposaient les privilèges de la Serbie, le cabinet de Saint-Pétersbourg avait espéré que ce serait là pour les Serbes une source d’inquiétudes et qu’ils s’en montreraient émus ; mais la Porte a eu l’heureuse pensée de déclarer qu’elle confirmait de nouveau et à perpétuité tous les avantages que les traités avaient assurés au pays, elle a pris à témoin de cet engagement les grandes puissances ses alliées, et les Serbes n’ont pas regretté le protectorat russe. Dans les derniers temps, les Serbes, craignant à tort que les troupes autrichiennes, au lieu d’entrer directement en Valachie, ne fran-