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Le thé, ce thé supérieur de Russie connu à Paris, où il est rare, sous le nom de thé de caravane, est un immense objet de commerce à Nijney-Novogorod, où il est apporté par les Tartares qui le prennent dans la Chine. M. Hill pense que ce n’est point l’air de la mer qui, comme on le croit communément, ôte au thé une partie de sa qualité, ainsi que cela a lieu pour le thé que les Anglais et les Américains vont chercher en Chine au moyen d’une immense navigation. C’est, selon M. Hill, à la qualité vraiment supérieure du thé des provinces du nord de la Chine, où les Tartares s’approvisionnent, qu’il faut attribuer l’excellence du thé russe. Au reste, le thé des caravanes est enveloppé avec un soin extrême dans des feuilles d’étain et recouvert de peaux de bœuf. Je ne trouve dans M. Hill aucune mention de l’opinion bien connue, et corroborée par le témoignage de l’expédition scientifique envoyée en Sibérie par le gouvernement russe dans le siècle dernier : à savoir que le thé fait avec l’eau provenant de la glace fondue jouit d’un arôme supérieur. Si le fait est vrai, comme il n’est guère permis d’en douter, les gourmets de Paris, hommes et femmes, qui ont facilement de la glace en tout temps, peuvent se procurer ce précieux avantage, à moins que le thé anglais ne soit pas, comme le thé russe, susceptible de cette notable amélioration[1].

Le séjour à Nijney nous offre une bonne occasion pour énumérer les diverses races qui composent l’empire de Russie. M. Hill reproduit sur ces races quelques notions familières à tout le monde ; nous préférons à ce que dit là-dessus M. Hill en 1854 ce qu’écrivait en 1851, c’est-à-dire en dehors de toute influence actuelle, un savant géographe anglais, M. Wyld : il La Russie (d’après M. Wyld) est un des deux empires du monde qui ont un peu plus de superficie que l’empire anglais ; mais l’empire russe est beaucoup au-dessous de celui-ci et de l’empire chinois pour la population, comme pour la puissance il est bien inférieur à l’Angleterre. La Russie, dans le siècle dernier,

  1. Voici ce qu’on lit dans Gmelin, traduction de Kéralio : « La rivière de Lena passe à quelque distance de Iakoutsk, et les eaux du voisinage gèlent en hiver. Ainsi, lorsqu’on veut avoir de l’eau, il faut l’envoyer chercher très loin. Les officiers de la flotte (à Iakoutsk la Lena a douze kilomètres, c’est-à-dire la moitié de la largeur du Pas-de-Calais) qui firent usage d’eau commune et de glace fondue s’aperçurent que celle-ci communiquait au thé un goût et une couleur plus agréables : nous répétâmes leur expérience, et le résultat fut le même. Il faut observer de ne pas fondre la glace sur un feu qui fume ; elle prend le goût de fumée plus facilement que l’eau commune (c’est parce qu’elle est privée d’air). On la préfère aussi pour faire du punch, et quelques-uns prétendent qu’elle cuit mieux les alimens. » (Cette dernière particularité pourrait provenir de ce que l’eau, en se congelant, abandonne certains sels nuisibles à la cuisson des légumes et en général se purifie de plusieurs corps étrangers, comme on le remarque dans la cristallisation du salpêtre et de plusieurs sels en dissolution.)