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1,700 kilogrammes de coton par hectare. La moyenne de rendement est de 1,000 kilogrammes.

Nous venons d’achever cette tournée à travers les trois provinces de l’Algérie ; nous avons vu a l’œuvre et à leur place les 30,000 colons dont se compose jusqu’ici l’effectif producteur de l’Afrique française. Ces colons, ayant reçu dès l’origine un lot uniforme de dix hectares, ont été placés, il faut bien le dire, dans des conditions fort inégales de réussite, suivant leur plus ou moins de proximité des centres de consommation et d’écoulement, suivant la nature et la qualité des terres qui leur ont été attribuées. Nous avons vu tels centres de population mis hors de portée des ravitaillemens et des transports, comme les villages de l’intérieur, — tels autres mis hors de portée des terres de culture ou des cours d’eau, comme la plupart des colonies agricoles de 1848. Aux uns les distances étaient un obstacle, aux autres c’étaient les moyens de production. Cependant la loi du 11 janvier 1851, en affranchissant, en partie du moins, la consommation et la production de l’Algérie, est venue favoriser l’essor des cultures. Les bienfaits de cette loi de délivrance, se sont fait sentir presque instantanément. Les productions algériennes, inconnues la veille, sont enfin arrivées sur les marchés français : le commerce de la colonie, qui se faisait jusque-là avec de l’argent, a commencé à se faire par l’échange de produits. De grands espaces, incultes depuis des siècles, ont été ensemencés ou défrichés. L’Algérie, qui recevait des blés de la métropole, lui en fournit depuis lors. L’exportation des grains a été l’an dernier de 14 millions ; elle sera cette année de 30 millions au moins[1]. Tel village, que nous avons vu misérable il y a quelques mois, sera prospère peut-être après sa récolte : à la place où était un champ de blé, la saison prochaine verra un champ de tabac ou de coton décuplé de valeur. Si l’on veut avoir au plus juste le nombre de colons qui toucheront cette année au seuil de la prospérité, c’est toujours par la quantité de norias établies qu’il faudra le calculer. Depuis la loi du 11 janvier 1851, c’est-à-dire depuis trois ans, la culture européenne a quadruplé de valeur. Nous pouvons affirmer, d’après les faits existons, qu’elle aurait plus que décuplé, si tous les colons avaient été placés dans des conditions à peu près égales d’exploitation, si des vues d’ensemble et non des intérêts de détail avaient présidé aux travaux d’installation et d’utilité publique en Algérie.

  1. M. le ministre de la guerre porte à 1 million d’hectolitres les grains exportés d’Afrique en 1853, et leur représentation en argent à 14 millions de francs seulement. Évidemment il y a une erreur dans l’évaluation des quantités des grains exportées : 1 million d’hectolitres, même en orge, représenterait au moins 20 millions de francs au prix où les grains se sont vendus en 1853. En réduisant à 700,000 hectolitres les grains exportés l’an dernier, nous croyons donc être fort près d’une estimation exacte. — Les hauts prix qu’ont atteints les grains de la dernière recolte ont engagé les colons et les Arabes à augmenter considérablement leurs ensemencemens pour 1854, Ainsi, aux environs de Constantine et dans la Medjana, contrées fromenteuses par excellence, la récolte donnera cinq fois plus en 1854 qu’elle n’a donné en 1853. Dans la province d’Alger et dans la province d’Oran, où le commerce a pris beaucoup plus de grains l’année dernière que dans la province de Constantine, les possibilités d’ensemencement ont été plus restreintes ; on peut compter pointant que la production donnera un tiers de plus que l’an dernier. Ainsi donc, tous les renseignemens étant conformes sur la bonne qualité des grains, sur le bon rendement des gerbes et sur l’importance de la moisson, la récolte de 1854 donnera à l’exportation un excédant qu’où ne peut estimer à moins de 2 millions d’hectolitres. Sur ces 2 millions d’hectolitres, la production de nos colons n’est comprise que pour moins d’un sixième ; tout le reste est production arabe. L’orge entre pour un tiers dans la récolte indigène de 1854, cette proportion de l’orge par rapport au blé est énorme, et voici comment nous pouvons l’expliquer. Au moment des semailles, le bruit s’était répandu dans le pays arabe que les Anglais viendraient en 1854 acheter dans le Tell tout l’orge disponible, parce qu’ils avaient trouvé que l’orge d’Afrique était la meilleure pour la fabrication de la bière. C’est sur la foi de ce bruit que les semailles ont été faites, dans la province d’Oran surtout. On saura prochainement jusqu’à quel point les Arabes ont eu raison de compter sur les achats de l’Angleterre. Quoi qu’il en soit, en calculant à 30 millions de francs l’exportation des grains de l’Algérie pour 1854, nous restons au-dessous des probabilités. Cet accroissement de production représentera dans l’impôt indigène une augmentation de 2 millions de francs au moins, les Arabes payant ou trésor une redevance de 2 francs par chaque hectare cultivé en sus de l’impôt des troupeaux.