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a paisiblement conquise[1]. À trois lieues au sud-ouest de Bouffarick se trouve Blidah la voluptueuse, la ville des jasmins et des roses, la perle de la Mitidja, comme disent les Arabes. On l’aperçoit de tous les points de la plaine, posée sur le revers de la gorge de l’Oued-Kébir, entourée de ses jardins d’orangers, qui forment un rempart de verdure à la masse bien groupée de ses maisons blanches. Coupés ou brûlés en 1840 par un de nos corps expéditionnaires, ces arbres aux fruits délicieux ont repoussé comme par enchantement, et donnent par an trois récoltes de fleurs ou d’oranges. L’Oued-Kébir, dont toutes les eaux s’épanchent sur Blidah et sa banlieue, a primitivement déposé là les détritus qu’il entraîne en sortant de la montagne voisine, et ces détritus composent seuls la couche végétale sur laquelle Blidah repose. Ce terrain, friable et léger, est de beaucoup moins riche et moins plantureux que celui de la Mitidja même ; mais sous cet heureux climat la température est toujours plus féconde que la terre : de quelque nature que soit le sol, lorsqu’il est sollicité par l’irrigation, on lui fait produire tout ce qu’on veut, et ici les gorges de la montagne déversent sur ces pentes bien exposées 13 millions de mètres cubes d’eau par jour. Aussi tout y prospère aussi bien qu’à Bouffarick, le tabac, le coton, même la rose à thé, et surtout les plantes potagères, qui livrent des primeurs à tous les mois de l’année. L’hectare de terre, complanté d’orangers, se vend à Blidah jusqu’à 8,000 francs.

Autour de Blidah et de Bouffarick s’échelonnent les centres de peuplement créés dans la Mitidja jusqu’en 1847. La plupart de ces villages, après de rudes épreuves et des expériences ruineuses, ont enfin vu s’ouvrir l’ère de la prospérité, grâce aux cultures industrielles qu’ils ont entreprises dans ces derniers temps. Nous en dirons autant des villages du Sahel, également antérieurs à l’année 1848. Ici, les colons ont eu bien d’autres difficultés à vaincre, pour arriver au succès, que les colons de la plaine. Exposés aux grands vents de la mer, sur un sol rebellé couvert de palmiers-nains, d’un défrichement pénible et ruineux, où l’eau courante manquait absolument, il leur a fallu creuser des puits et construire des norias pour atteindre aux cultures prospères ; mais que d’efforts pour en arriver là, et combien ont succombé pendant l’épreuve ! Aujourd’hui toutes les cultures industrielles prospèrent dans le Sahel comme dans la Mitidja. C’est au Sahel que nous avons vu les plus belles plantations de mûrier qu’il y ait en Afrique. Depuis deux ans, on y a introduit avec succès l’industrie des essences, et d’immenses champs de géraniums y parfument l’air. Sur les deux routes de Douera et de Coléah, qui sillonnent les collines du Sahel dans toute leur longueur, le roulage augmente de jour en jour, signe évident d’une prospérité grandissante, A lui tout seul, le Sahel, sur une étendue six fois moindre que celle de la Mitidja, a une population rurale, plus considérable : 8,000 colons y sont répartis dans 20 villages, tandis que la Mitidja, en exceptant la population urbaine de Blidah, ne possède en tout que 7,000 colons, distribués dans 18 villages.

  1. Cette salubrité est constatée par un tout récent témoignage. L’orphelinat installé sur remplacement du camp d’Erlon, et succursale de l’orphelinat de Ben-Akmoun, a reçu, il y a un an, deux cents et quelques enfans, ramassés, pour ainsi dire, dans les ruisseaux de Paris, dont l’acclimatation par conséquent était difficile : il n’en est pas mort un seul, et il n’y a eu parmi eux que deux cas de maladie.