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les mûriers de Dréan, plantés depuis deux ans à peine, et qui promettent déjà une récolte pour l’année prochaine. Entre Penthièvre et Héliopolis, on construit deux autres villages routiers qui, par un hasard bizarre, sont échus à des colons allemands dont pas un ne parle français. Ces malheureux sont arrivés en Afrique, avec femmes el ennuis, dans un étal de dénûment complet, et c’était une pitié, même pour les Arabes, de voir ces enfans à peu près nus aux approches des pluies, tandis que les femmes quêtaient l’aumône des passans. Il a fallu tout leur fournir, depuis le matériel agricole jusqu’à la ration de pain de munition. Si de pareils colons se tirent d’affaire, ce sera un vrai miracle, et combien nous en coûtera-t-il ? Telle est pourtant la confiance qu’inspirent les ressources de la colonisation à ceux qui président à ses destinées, surtout depuis 1852, date des premiers succès, qu’on ne désespère même pas de la réussite des malheureux colons allemands de Guelma. Il est certain que ces terres en pente semblent inviter au travail par leur apparence de fertilité, et que les eaux des fontaines tombent de tous les côtés comme un gage d’abondance.

De nombreux vestiges de l’occupation romaine témoignent encore aujourd’hui de l’antique prospérité de Guelma. La Seybouse traverse son territoire, et sur les affluens qu’elle reçoit à son passage s’élèvent déjà quelques usines pour utiliser leurs chutes. Les prairies, les bois d’oliviers, les eaux vives, quelques fermes éparses au milieu des ruines, donnent à toute cette contrée un air si vivant, qu’on la dirait peuplée. L’est-elle ? C’est à peine si l’on trouverait un millier de colons dans les trois villages, Héliopolis, Millésimo et Petit, qui se trouvent dans la banlieue agricole de Guelma, à quelques kilomètres. La position de Guelma est fort importante cependant comme centre de colonisation et de commerce. C’est à Guelma que se vendent les bestiaux les plus estimés de toute l’Algérie, amenés des riches plaines des Nemenchas et des Haractas, qui s’étendent au sud dans la direction de Tebessa.

En allant de Guelma vers le nord-ouest, en amont de la Seybouse, on arrive, à travers une forêt d’oliviers de trois lieues et demie d’étendue, à Medjez-Hamar, d’où partit le premier camp expéditionnaire dirigé sur Constantine en 1836. À Medjez-Hamar se trouve un orphelinat, le seul établissement de ce genre qui n’ait pas réussi en Afrique, soit parce qu’il a changé de directeur, soit parce qu’il n’a pas eu de ressources premières suffisantes. Autour de Medjez-Hamar rayonne le territoire le plus favorable peut-être à la colonisation européenne que nous ayons vu dans toute l’Afrique : bonne exposition du sol, abondance des eaux courantes, végétation admirable, tout s’y trouve. L’olivier s’est emparé de tout le pays en véritable despote. De la montagne à la plaine, il occupe tout, crêtes et vallons. Nous n’exagérons rien en disant qu’il y là peut-être 2 millions de pieds en état de recevoir la greffe.

Nous venons de parcourir dans toutes ses parties la région colonisante de la Seybouse. Comment celle légion est-elle peuplée ? On y compte, y compris Bône et Guelma, 14,000 Européens[1], soit quinze cents colons environ,

  1. Le peuplement de cette région ne date guère que de 1848. C’est du reste avec les crédits extraordinaires votés pour la colonisation le 11 septembre 1848 qu’ont été créés et peuplés presque tous les villages qui existent aujourd’hui en Afrique. Le génie militaire fut mis à cette époque en demeure de construire, dans le plus bref délai possible, une cinquantaine de villages, impartialement distribués entre les trois provinces. Dans la construction de ces villages, le génie militaire se préoccupa beaucoup plus, cela va sans dire, de la position stratégique que des convenances agricoles. Bâtis à la hâte et au hasard, les villages de 1848 ont aussi été peuplés à la hâte et au hasard, avec des ouvriers de ville qui s’étaient figuré qu’il suffisait de patriotisme pour réussir dans la colonisation. On comprendra facilement qu’un pareil contingent de colons n’ait guère laissé que des épaves en Afrique.