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sur la rive gauche, et qui frappe pour ainsi dire de malédiction tout ce riche bassin, qui pourrait nourrir sans effort 30,000 habitans.

La cause de l’insalubrité de cette zone est aujourd’hui connue : le sous-sol est formé d’une couche d’argile qui se refuse aux infiltrations et laisse les eaux stagnantes sur la terre. À la hauteur de Duzerville, on a fait un fossé d’écoulement qui prend la plaine en écharpe et qui va se dégorger dans le lit de la Méboudja, petite rivière venant du sud. Ce travail, tout imparfait et tout partiel qu’il soit, a notablement assaini l’ouest de la plaine. Quelques travaux de drainage pour ameublir le sous-sol feraient disparaître toutes les influences morbides, et rendraient à sa fertilité traditionnelle tout cet admirable bassin. Une étude, déjà faite sur les lieux, évalue à 2 millions à peu près les dépenses de ce drainage. Quant à l’irrigation, un barrage fait au-dessus de Barral pourrait porter, si l’on voulait, toutes les eaux de la Seybouse jusqu’au pied des hauteurs de Dréan, au sud-ouest, d’où l’on immergerait la plus grande partie de la plaine. Ainsi, moyennant une dépense préalable de 4 ou 5 millions, ce seraient 80,000 hectares, y compris les dépendances voisines du lac Fezzara, dont on pourrait doter la colonisation prochaine, c’est-à-dire une richesse assurée pour quarante villages produisant le colon et la soie sur un sol privilégié, où déjà aujourd’hui le cotonnier et le mûrier poussent comme du chiendent, pour nous servir du mot expressif d’un colon provençal. Bône retrouverait ainsi, même agrandie, l’importance commerciale qu’elle a perdue, et que ne peuvent lui rendre les quelques centaines de colons qui se sont jusqu’ici hasardés dans la plaine, à Duzerville, Mondovi, Barral et Dréan.

Éloignons-nous un peu de Bône. Dans la haute région de l’Édough, on a établi quelques familles de bûcherons occupées au démasclage des chênes-liège, dont l’exploitation se fait en grand et commence à prospérer : c’est le village de Bugeaud. Mais ce ne sont pas des bûcherons seulement qu’on devrait établir soit dans les montagnes de l’Édough, soit dans les montagnes des Beni-Salah : ce sont des charbonniers qu’il y faudrait surtout. Les hauts-fourneaux de l’Alélik pourraient en faire vivre un millier au moins. La société de l’Alélik est obligée de faire venir son charbon d’Italie, malgré les vastes affouages qu’elle a obtenus dans les forêts voisines, et qui lui sont inutiles, faute de bras. Or les charbons d’Italie fabriqués au bord de la mer arrivent à Bône chargés de sel marin qui les rend impropres à la combustion en fatiguant outre mesure les fourneaux. Ce n’est pas seulement d’ailleurs un millier de charbonniers que la grande industrie du fer ferait vivre en prospérant, c’est toute une population d’ouvriers, c’est tout le commerce déshérité de Bône.

Suivons maintenant la route de Guelma, qui mène vers l’intérieur de la zone que nous explorons. Autour de Guelma se rallie la colonisation de l’intérieur, comme autour de Bône la colonisation du littoral. Quelques villages routiers relient l’un à l’autre ces deux centres que sépare une distance de 18 lieues ; aussi ces villages, Penthièvre d’un côté, Héliopolis de l’autre, songent beaucoup plus à tirer profit de la route qu’ils desservent que des terres qui leur sont concédées. Et pourtant ce sol accidenté, où les eaux abondent, est extrêmement favorable aux cultures el aux plantations, comme le prouvent